La facture salée des rentiers du photovoltaïque
L’Etat veut renégocier certains gros contrats de production d’électricité solaire, jugeant leur rentabilité excessive. La filière se mobilise.
Un amour contrarié avec le soleil. Pour Hubert Helvig, agriculteur dans la commune de Hesse, en Moselle, la période estivale a longtemps été porteuse de bonnes nouvelles. Pas tant pour ses vaches ou pour les céréales qu’il cultive sur les 260 hectares de terres familiales, mais bien pour les 5 000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques disposés depuis dix ans sur la toiture d’un de ses bâtiments, qui produisent à plein durant la saison. Une vraie source de revenus pour cet exploitant, qui a pu dégager annuellement jusqu’à 300 000 euros en vendant son électricité à EDF grâce aux tarifs garantis par l’Etat. Cette année, pourtant, le retour des beaux jours ne saurait égayer son quotidien. L’installation solaire dans laquelle il a investi 3 millions d’euros, socle de sa diversification, pourrait causer sa perte.
Comme d’autres producteurs dont l’installation dépasse les 250 kWc (kilowattscrête), Hubert s’apprête à subir la renégociation de tarifs que les autorités avaient accordés pour certains contrats conclus de 2006 à 2010. Pourquoi une telle volteface ? Aux yeux du gouvernement, ces derniers ont bénéficié de rentes excessives grâce à des prix de rachat parmi les plus généreux au monde, alors que le coût du matériel ne cessait, lui, de baisser. « Ces accords représentent 2 milliards d’euros de subventions chaque année, pour moins de 5 % de la production renouvelable. La dépense est exorbitante pour les finances publiques », défendon du côté du ministère de la Transition écologique. L’exécutif espère récupérer entre 4 et 7 milliards d’euros sur dix ans avec cette loi. Naturellement, la mesure dévoilée fin septembre a immédiatement suscité une levée de boucliers au sein de la filière. « Quel genre d’Etat revient sur sa parole ? » nous confiait alors un producteur. Voté par le Parlement fin décembre malgré l’opposition du Sénat, l’article 225 a même été porté devant le Conseil constitutionnel. Mais les Sages n’ont rien trouvé à y redire, jugeant que l’intérêt général – les deniers du contribuable – l’emportait sur ces contrats juteux.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Passé le vote du Parlement, les producteurs concernés par la révision des tarifs – ils sont un millier environ – attendaient fébrilement le décret d’application, comprenant le chiffrage des restrictions budgétaires. Ce texte, dévoilé le 3 juin par le gouvernement, a suscité une nouvelle fronde. « L’esprit de la loi, c’était de conserver une rentabilité minimale, qui permet de préserver la santé du producteur et de son projet. Avec le décret, on sent une volonté de taper très fort », dénonce Nicolas Jeuffrain, directeur général de Tenergie et président du syndicat Solidarité renouvelables, créé pour fédérer l’opposition à la révision. Son association a fait le calcul : les coupes atteindraient 55 % en moyenne sur l’ensemble des contrats, certaines pouvant aller jusqu’à 95 %. Autant dire que, chez Tenergie, on risque bien plus que la simple insolation. « Sur nos 1 000 parcs, 90 sont concernés par la révision des tarifs. Mais ils représentent les deux tiers de notre chiffre d’affaires. On va perdre potentiellement plusieurs dizaines de millions d’euros », explique son dirigeant. « Pour moi, c’est la catastrophe, abonde Hubert Helvig. Avec les calculs actuels, je passe d’un tarif de rachat de 60 centimes par kilowattheure à un tarif négatif de – 56 centimes. Concrètement, cela signifierait que, les dix prochaines années, je vais devoir livrer de l’électricité et payer EDF pour qu’elle me la reprenne. Grand seigneur, l’Etat a fixé un plancher de 2 centimes », ironisetil. L’agriculteur a sorti sa calculette. Avec ses 240 000 euros annuels d’emprunts à rembourser, les frais de maintenance de ses panneaux, les différentes taxes, il est très loin du compte.
Faute d’avoir obtenu gain de cause sur le principe de la renégociation, la filière du solaire, qui génère 18 000 emplois, ne compte pas se laisser tondre. Et demande au gouvernement de revoir sa copie, agitant le spectre d’une multiplication des contentieux. « Le chiffrage de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et du ministère part d’hypothèses de rentabilité fantaisistes. Les dépenses d’investissement pour le matériel sont sousestimées, comme celles de la maintenance », explique Nicolas Jeuffrain. « Quand on nous a fourni l’outil, on a découvert que les données de la CRE n’étaient pas les mêmes que celles du décret. C’est du travail bâclé », pointe Olivier Dauger, en charge du dossier pour la FNSEA. Du côté du ministère de la Transition écologique, on reconnaît « une erreur de forme » sur la rédaction de l’arrêté. En revanche, l’exécutif persiste et signe à propos de sa méthode de calcul. Et tente de jouer l’apaisement : « On ne laissera aucun producteur face au mur. Une clause de sauvegarde sera ouverte pour éviter la moindre faillite. » En clair, chacun pourra plaider sa cause devant la CRE pour tenter de minorer la coupe tarifaire.
Mais le dispositif ne rassure guère. L’instruction des dossiers, dont la durée peut s’étendre sur seize mois, s’annonce longue et ardue. Ce qui n’est pas pour tranquilliser les financiers de certaines
entreprises du secteur. Jean-Philippe Fau, directeur général de Sonnedix, peut en témoigner. A la tête d’un groupe exploitant 40 centrales en France, il sera fortement touché par la révision des tarifs. Et ses créanciers ne manquent pas de le lui rappeler : « Depuis janvier, les banques activent des clauses de contrats de prêt leur permettant de freiner ou stopper les remontées de trésorerie de certains projets solaires vers notre maison mère, ce qui nous fragilise beaucoup », explique-t-il. Nicolas Jeuffrain ajoute que, sur les 1 000 contrats conclus de 2006 à 2010, une bonne moitié a entretemps changé de main. Si leurs vendeurs ont réalisé une culbute magistrale, les acquéreurs ayant emprunté pour acheter ces parcs solaires rémunérateurs à prix d’or risquent de se retrouver sur la paille après la révision. « Ces tarifs ont pu générer quelques effets d’aubaine, mais ils sont marginaux. Le législateur peut corriger sans pour autant pénaliser toute la filière », dénonce encore Jean-Philippe Fau.
Cela ne concernerait donc que quelques cas ? Difficile à dire. Car avec des prix de rachat autour de 60 centimes le kilowattheure en 2010, soit 10 fois plus que le prix de marché, la spéculation a été massive à l’époque. « Vous aviez des prospecteurs fonciers à tous les coins de rue, qui scrutaient la moindre toiture pour y installer un panneau », se remémore un expert. Preuve d’ailleurs de l’intérêt du secteur financier pour la rente du solaire, les banques et certains gérants d’actifs ont été à la pointe du combat législatif à l’automne, quand le gouvernement a décidé de s’attaquer à ces tarifs. Devant les sénateurs en novembre, Barbara Pompili n’a pas manqué de glisser un tacle à ce sujet, rappelant que ces gros producteurs – des « investisseurs avertis » selon elle – ne « pouvaient pas ignorer cette situation quand ils ont signé les contrats. » « Ils ont accepté de financer des projets risqués en connaissance de cause », soulignait alors la ministre.
Du côté des agriculteurs, la pilule a du mal à passer. « Il y a certainement eu des projets immobiliers et financiers qui étaient purement spéculatifs. Mais, à côté, il existe aussi de vrais projets économiques. Rappelons qu’à l’époque Bercy poussait les exploitants dans les bras du photovoltaïque », défend Olivier Dauger de la FNSEA. Hubert Helvig a tenté l’aventure, espérant que ses revenus tirés du solaire puissent un jour nourrir ses autres activités. Las, les panneaux installés sur ses toits sont aujourd’hui devenus des boulets à traîner.