L’heure française
Elle a jadis connu des lettres de noblesse avant de se laisser supplanter par sa voisine helvétique. L’horlogerie tricolore, soutenue par nombre de jeunes marques et quelques maisons de renommée internationale, semble retrouver son allant, tiré par une large diversité créative et des perspectives de motorisation Made in France.
Quel est le point commun entre Cartier, Boucheron, Richard Mille et Bell & Ross ? Leurs montres sont nées en France, leur renommée est assurément mondiale, mais surtout, leurs mouvements sont… suisses. Même constat pour les marques couture - Chanel, Dior, Hermès, Louis Vuitton -, également équipées de calibres helvètes. C’est là toute l’ambiguïté de l’horlogerie française. Et pourtant, cette industrie est reconnue par l’Unesco depuis décembre dernier. En effet, le savoir-faire horloger et la mécanique d’art de l’Arc jurassien franco-suisse ont été inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Historiquement, la France fut même le premier pays horloger et a connu des heures de gloire. Mais à l’époque de la révocation de l’Edit de Nantes, le pays a laissé s’échapper une partie de son savoir-faire et de ses experts.
UN PAYS EXPORTATEUR DE MONTRES Selon l’étude multi-sectorielle sur la réindustralisation de la Fédération indépendante du Made in France (octobre 2020), l’Hexagone ne compte que 2 898 emplois de production dans l’horlogerie et 78 fabricants de gardetemps et horloges, soit une diminution de 60% en un quart de siècle. En quantité comme en valeur, seulement 2 % des montres commercialisées sont fabriquées dans notre pays. C’est le constat de Francéclat, le comité professionnel de développement économique au service des secteurs de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie et des arts de la table. Par ailleurs, l’observatoire Francéclat/Ecostat, publié en février dernier, fait état d’une baisse du chiffre d’affaires de la production horlogère française de 22 % en 2020 et, spécifiquement, de 12% pour les montres. Quant au chiffre d’affaires global, il n’était plus l’an dernier que de 271 millions d’euros H.T., contre 349 en 2019. Une chute d’activité qui s’explique, bien entendu, par le contexte socio-économique lié à la situation sanitaire. En dépit de ce creux de vague, d’après Trade Data Monitor (TDM) et les études statistiques dévoilées en 2021 par Francéclat, la France figure cependant au quatrième rang des pays exportateurs de montres, après la Suisse, Hong Kong et la Chine.
De nouveaux acteurs français de l’horlogerie sont arrivés au cours des dernières décennies, à commencer par B.R.M., MAT Watches et March LA.B. Peu après, ont suivi Fréret-Roy 1818, le studio de création horlogère FOB Paris, Briston, Charlie Paris. Et la liste n’est pas exhaustive… A partir de 2015, c’est la naissance de Reservoir, Hegid, Beaubleu, Halchimy, Baltic Watches, Klokers, Abback Watches. Ou encore Trilobe, « une marque conçue en France et fabriquée en Suisse », comme la décrit sa directrice générale, Volcy Bloch. La pierre angulaire de cette maison d’horlogerie est « sa dimension artistique, architecturale et culturelle, dont la France reste la source d’inspiration autant que le marché principal ». Le marché domestique est aussi ce qui fait la force de March LA.B. Faute de trouver une motorisation Made in France adaptée, son aventure avait commencé avec des mouvements suisses, avant de se poursuivre avec des calibres japonais. « Si nous ne comptons plus les marques créées par des Français, rares sont les entreprises réellement françaises », explique Alain Marhic, cofondateur des montres March LA.B. Son credo, rester transparent auprès de ses clients sur le process de fabrication mis en place. D’ailleurs, depuis qu’il a rapatrié dans la région de Besançon l’assemblage des montres et des bracelets, les ventes se sont renforcées dans l’Hexagone. Au point de l’inciter à ouvrir dans quelques semaines une troisième boutique parisienne rue Saint-Sulpice, dans le quartier de Saint-Germain des Prés.
VAGUE TRICOLORE De tels succès à la française attirent de nouveaux entrepreneurs. En 2019, le hasard, ou la conjoncture, a voulu que beaucoup se sont lancés - Grandval, Atelier Jalaper, Awake, SYE (Start Your Engine) - ou relancés, comme Le Forban Sécurité Mer. Parmi les derniers arrivés, BND Watches et Jacques Bianchi. De leur côté, encouragés par cette vague tricolore, les précurseurs que sont Lip, ZRC, Michel Herbelin, Pequignet, Yema ou Poiray se recentrent plus que jamais sur leurs origines. La manufacture Pequignet a choisi d’aller encore plus loin et propose un calibre français. Après avoir mis au point un premier mouvement mécanique maison, le Calibre Royal, l’atelier horloger a dévoilé le 2 juin son nouveau mouvement Initial et la série limitée de 100 modèles en or qui en sont équipés. La grande particularité vient du fait que ce calibre automatique a aussi été conçu pour intégrer les collections d’autres maisons françaises, telles March LA.B et Ralf Tech. Aymeric Vernhol, co-dirigeant de Pequignet, estime qu’ « une véritable alternative française était nécessaire et attendue ». Non seulement par les fabricants et les distributeurs, mais avant tout, « par une jeune génération de clients, sensibles à l’origine des produits qu’ils achètent ». Avec ces nouveaux consommateurs, qui s’informent et comparent, l’horlogerie française peut espérer un jour retrouver ses lettres de noblesse. C.L.