Syrie Le pays « normal » de Bachar el-Assad
Le régime tente de retrouver une légitimité sur la scène internationale, encouragé par les puissances du Golfe et certains Etats européens.
Damas, une capitale où vous pouvez « vous sentir en sécurité ». Après dix années de guerre en Syrie, 500 000 morts et 12 millions de déplacés, on pourrait croire que seul Bachar el-Assad serait capable aujourd’hui de tenir un tel discours. Pourtant, ce sont bien les autorités danoises qui brandissent cet argument depuis début avril. D’après Copenhague, la capitale syrienne est désormais suffisamment sûre pour que les milliers de réfugiés sur son sol puissent y retourner sans craindre pour leur vie. « Le gouvernement danois poursuit son agenda anti-immigration sur le dos de ces réfugiés, il est absurde de dire qu’ils ne courent aucun risque à Damas, souligne Joseph Daher, spécialiste de la Syrie à l’Institut européen de Florence. Ce discours d’un Etat de l’Union européenne valide la propagande de Bachar el-Assad, qui doit être ravi. »
Des centaines de Syriens ont déjà perdu leur statut de réfugié au Danemark et sont priés de trouver un moyen de retourner dans un pays où le régime punit par la torture ou la mort ceux qui l’ont fui. « Pour l’instant, les autorités danoises ne procèdent pas à des expulsions forcées vers la Syrie car les contacts diplomatiques n’ont pas été renoués, indique Lena Odgaard Bjornsen, porte-parole du Danish Refugee Council. Mais les permis de résidence sont retirés si les réfugiés refusent de retourner en Syrie et ces derniers sont placés en centre de détention, peut-être indéfiniment. » Comme le pays scandinave, la Hongrie et la Bulgarie renouent les liens avec le régime syrien pour des raisons principalement migratoires et maintiennent leur représentation diplomatique à Damas. De son côté, la Grèce a rouvert son ambassade dans la capitale syrienne le mois dernier et Chypre s’apprête à faire de même. L’UE interdit pourtant à ses membres tout lien officiel avec le régime Assad. Mais les opportunités économiques restent alléchantes.
La Syrie est un Etat en ruine à reconstruire entièrement, avec, à sa tête, un clan qui décide de manière arbitraire les attributions de contrats. « La survie du régime Assad est quasi assurée, mais il lui reste des défis incroyables à relever pour maintenir une hégémonie sur la population et sortir d’une situation économique catastrophique, expose Joseph Daher. Même la Russie et l’Iran, qui ont la main sur le pays, espèrent voir la normalisation des relations s’accélérer, car ils subissent eux-mêmes des crises économiques et n’ont pas les moyens de reconstruire seuls la Syrie. » L’emprise de Téhéran sur Damas reste d’ailleurs l’argument principal des puissances du Golfe, qui encouragent une reprise de relations normales avec le régime syrien. En 2011, elles l’avaient exclu de la Ligue arabe en raison des atrocités commises par son armée, mais, depuis 2018, le discours évolue. Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, confiait alors au magazine Time : « Bachar el-Assad va rester, nous espérons juste qu’il ne sera pas une marionnette aux mains de l’Iran. »
La présidentielle « bidon » du 26 mai, qui lui a donné plus de 95 % des voix, a accéléré le mouvement dans les pays du Golfe. En juin, pour la première fois depuis dix ans, un ministre syrien s’est rendu en visite officielle en Arabie saoudite. Et, début juillet, les vols directs ont repris entre Damas et Dubaï, aux Emirats arabes unis. « Ces pays estiment que la guerre est finie et que renouer avec Damas écartera l’influence iranienne, analyse Oula Alrifai, chercheuse à l’Institut de Washington pour le Proche-Orient. Mais une normalisation ne donnerait que davantage d’arguments à Assad pour prolonger le statu quo. Ce régime démontre depuis cinquante ans que ses alliances à l’étranger n’ont aucune conséquence sur son attitude à l’intérieur de la Syrie. »
L’avenir de Damas passe désormais par Washington et son pouvoir d’imposer des sanctions internationales. Voté par le Congrès en 2019, le Caesar Act condamne lourdement toute entreprise ou personne en lien avec les Assad, et isole ainsi le régime syrien du reste du monde. Mais après quatre ans de « pression maximale », sous Trump, l’administration Biden semble plus hésitante. « Tant que les Etats-Unis ne donnent pas leur feu vert, il n’y aura pas d’acceptation globale du régime syrien, tranche Joseph Daher. Les relations s’améliorent avec les pays du Golfe, mais le Caesar Act bloque tout investissement potentiel. » Malgré les fables de Bachar el-Assad, la page de la guerre en Syrie ne sera pas tournée si facilement.