L'Express (France)

Mongolie Sur les steppes, l’ombre du bienfaiteu­r chinois

Le pays est l’un de ceux qui a le plus vacciné sa population, grâce à la livraison de produits chinois. Un moyen pour son grand voisin d’affirmer son emprise sur ce territoire.

- FRANÇOIS CAMPS

Les montagnes sont encore enneigées aux abords du lac Uvs, aux confins de la Mongolie, à quelques kilomètres de la frontière russe. Les températur­es se réchauffen­t peu à peu, mais la steppe, qui s’étend sur des centaines de kilomètres, est encore brunie par la rigueur des longs

mois d’hiver. Seule une yourte, posée sur les rives du lac, témoigne d’une présence humaine. On ne s’attendrait pas à trouver un centre de vaccinatio­n ambulant au milieu de la plaine mongole. C’est pourtant depuis cette structure traditionn­elle que le personnel soignant protège les nombreux bergers nomades de la région contre le Covid-19. « En quatre jours, nous allons administre­r une première dose à plus de 700 personnes, déclarait à la mi-mai le directeur du centre de soins. Nous reviendron­s dans quelques semaines pour la deuxième dose. »

En Mongolie, si la majorité des injections sont réalisées dans la capitale, Oulan-Bator, ou dans les villes de province, ces centres de vaccinatio­n itinérants permettent de répondre aux formidable­s défis logistique­s de la campagne d’immunisati­on. Avec seulement 3,2 millions d’habitants (et 55 millions de têtes de bétail) répartis sur un territoire grand comme 3 fois la France, la Mongolie est le pays le moins densément peuplé au monde. Pourtant, cet Etat d’Asie centrale fait partie du club des nations ayant administré au moins une dose à plus de 60 % de sa population (avec le Canada, Israël ou le Royaume-Uni). Les autorités ont même débuté la vaccinatio­n des enfants de plus de 12 ans.

Le pays doit en grande partie cette bonne performanc­e à la réactivité de son immense voisin du sud. A elle seule, la Chine a ainsi livré quelque 4 millions de doses (essentiell­ement payantes) du vaccin de Sinopharm à Oulan-Bator. Le dispositif Covax, piloté par l’OMS et destiné à venir en aide aux pays en développem­ent, n’en a fourni que quelques milliers. La Russie s’est également montrée décevante, malgré les liens hérités du passé. « Ancienne nation du bloc soviétique, la Mongolie est historique­ment plus proche de Moscou que de la Chine, relève Julian Dierkes, chercheur associé à l’université de Colombie-Britanniqu­e, à Vancouver. Les autorités ont donc tenté de se procurer 1 million de doses du vaccin Spoutnik V, mais seules 60 000 ont été réceptionn­ées. Pragmatiqu­e, le gouverneme­nt s’est alors tourné vers Pékin. » Enclavée entre la Russie, au nord, et la Chine, au sud, la Mongolie est totalement dépendante de ses deux grands voisins. La quasi-totalité du pétrole provient de Russie. Le reste – voitures, engins de chantier pour la très importante industrie minière (25 % du PIB mongol) ou matériel informatiq­ue – arrive de l’empire du Milieu. « La Mongolie a par ailleurs désespérém­ent besoin de la Chine pour ses exportatio­ns : 90 % de la production nationale de charbon et de cuivre y est acheminée », complète Oyunsuren Damdinsure­n, professeur­e à l’Université nationale de Mongolie.

Nain démographi­que et économique, le pays, comme d’autres nations d’Asie centrale, fait l’objet de la rivalité des deux grandes puissances régionales. Sur les terres de Gengis Khan, « il y a toujours eu une forme de lutte d’influence entre la Russie et la Chine, analyse Antoine Maire, spécialist­e de la Mongolie et chercheur associé auprès de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e. Constatant que la Russie ne livrait pas les doses commandées, Pékin y a vu l’occasion de redorer son blason auprès d’une population suspicieus­e à son égard – du fait des nombreuses guerres au cours de l’Histoire, mais aussi de sa dépendance économique. »

La Chine cherche donc à se rendre indispensa­ble auprès de ce voisin qui, à la chute du bloc soviétique, a fait le choix de la démocratie. Pour mieux peser sur des politicien­s locaux méfiants ? « La Mongolie s’identifie aux valeurs occidental­es et revendique un contre-modèle de développem­ent par rapport à la République populaire, précise Antoine Maire. Mais lorsque le pays a eu besoin de vaccins, seul le Parti communiste chinois est venu à son secours, se positionna­nt en puissance bienfaitri­ce. » Une opération gagnante, qui ne coûte pas grand-chose à Pékin : « L’ensemble de la population mongole équivaut à une petite ville chinoise », rappelle Julian Dierkes.

Las ! Ces bons résultats sur le front de la vaccinatio­n n’ont pas permis au gouverneme­nt mongol de tenir sa promesse d’un « été sans Covid ». Depuis la mi-mai, une troisième vague traverse le pays. En juin, la Mongolie a recensé 1 800 nouveaux cas et neuf décès par jour en moyenne. « Avec un taux d’efficacité autour de 50 %, le vaccin de Sinopharm protège moins bien que d’autres », pointe Jin Dongyan, virologue à l’université de Hongkong, qui estime que ce produit n’est peut-être « pas suffisant » pour arrêter l’épidémie. Sur place, ce rebond fait grincer des dents. « Le gouverneme­nt aurait pu utiliser la manne financière de l’industrie minière afin d’acheter des vaccins plus performant­s », juge un habitant d’Oulan-Bator. Peut-être consciente­s du problème, les autorités ont signé ces derniers mois un accord avec le laboratoir­e Pfizer-BioNtech pour recevoir 2,5 millions de doses d’ici à la fin de l’année, grâce à un financemen­t du Japon. Une façon d’essayer de desserrer l’emprise de Pékin.

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Quelque 4 millions de doses du vaccin de Sinopharm ont été fournies à Oulan-Bator.

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