Chine Cryptomonnaie : les dessous de l’offensive chinoise contre le bitcoin
Pour préparer au mieux l’arrivée du yuan numérique, le régime communiste veut évincer tout concurrent potentiel.
Les images ont été abondamment relayées sur les réseaux sociaux à la fin du mois de juin. Dans les allées de grands hangars du Sichuan (dans l’ouest de la Chine), des salariés éteignent les uns après les autres les ordinateurs alignés sur de gigantesques étagères. Ces machines servent à faire fonctionner le réseau du bitcoin – la plus importante devise virtuelle de la planète, qui opère indépendamment des banques centrales et des gouvernements. Les « ouvriers 2.0 » en question n’ont pas le choix : ils ont été sommés par Pékin de cesser leurs activités. Aucune région de la deuxième puissance économique mondiale n’est épargnée par cette injonction ; officiellement parce que le « minage » du bitcoin est polluant. Cette pratique – qui exige de faire tourner des centaines d’ordinateurs en même temps – consiste à valider les transactions réalisées via cette cryptomonnaie et à les enregistrer dans la blockchain, sorte de registre comptable planétaire réputé inviolable. A chaque opération vérifiée, le « mineur » gagne une somme en bitcoin. D’où ce surnom, une référence directe aux chercheurs d’or, qui, eux aussi, s’enrichissaient parfois très vite.
Mais l’interdiction progressive du bitcoin en Chine obéit, en réalité, à d’autres motivations, moins assumées. Le régime communiste, qui ne cesse d’accroître son emprise sur l’économie, souhaite éviter qu’une monnaie non supervisée par une autorité de surveillance puisse se développer sur son territoire. « Le bitcoin, par nature, échappe au contrôle des Etats », souligne David Baverez, investisseur français installé à Hongkong. Et, dans le même temps, Pékin veut faire place nette pour le futur yuan numérique, le eyuan. Cette monnaie, dont la valeur est arrimée au yuan traditionnel, est émise par la Banque centrale chinoise et représente l’inverse du bitcoin – décentralisé et au cours volatil. Elle devrait entraîner rapidité de paiement et (probablement) baisse des coûts pour les utilisateurs – qui auront de moins en moins besoin de liquide et de cartes bancaires.
Le pouvoir chinois a commencé à tester l’utilisation du eyuan à la fin de 2020 à Shenzhen (13 millions d’habitants) dans les transports publics et uniquement pour les fonctionnaires, avant de l’étendre à d’autres villes, tout en suivant ce principe. Plus récemment, le champ des utilisateurs a même été élargi : Pékin a fait gagner, via deux compagnies de loterie, plus de 50 millions de yuans (près de 8 millions de dollars) sous forme numérique à 250 000 personnes. Dans le même temps, les tout premiers salaires ont été versés en eyuans dans la nouvelle zone économique du Xiong’an, dans le Hebei. Les exemples devraient s’accumuler d’ici aux Jeux olympiques d’hiver de février 2022, organisés dans la capitale chinoise.
L’événement doit en effet servir de rampe de lancement officielle à cette cryptomonnaie d’Etat, également perçue comme un moyen de lutter contre l’hégémonie du dollar. L’Afrique – continent dans lequel investit massivement Pékin – pourrait notamment être incitée à se convertir au eyuan après l’abandon définitif du franc CFA. A l’intérieur de la Chine, le yuan numérique permet au régime de reprendre le contrôle des paiements électroniques, jusqu’ici dominés par les géants
du secteur, Alipay (créée par le groupe Alibaba) et WeChat Pay, sur lesquels Pékin garde un oeil vigilant.
Son combat contre le bitcoin est facilité par l’image dégradée des cryptomonnaies en général. « A l’heure actuelle, les devises virtuelles sont des actifs spéculatifs plutôt que de l’argent. Dans de nombreux cas, elles sont utilisées pour faciliter le blanchiment d’argent, les attaques de ransomware [NDLR : un logiciel malveillant chiffre les données des entreprises ou des administrations et demande des rançons pour les débloquer] et d’autres délits financiers », tacle la Banque des règlements internationaux, la « banque des banques centrales », dans un rapport publié le 29 juin.
Un e-yuan, indexé sur le yuan, aurait le mérite de « servir l’économie réelle », estime David Baverez, pour qui le sort réservé au bitcoin dans l’empire du Milieu pourrait préfigurer ce qui va arriver dans le reste du monde. D’autres projets de monnaies numériques sont, en effet, discutés aux Etats-Unis ainsi qu’au sein de l’Union européenne.
Pourtant, le flou persiste quant à la portée des annonces chinoises. « On a l’habitude que les autorités de ce pays soufflent le chaud et le froid sur le bitcoin », rappelle Sébastien Gouspillou, patron de la société de vente de matériel de minage Bigblock Datacenter. Or « c’est la Chine qui s’est enrichie le plus grâce au bitcoin et, notamment, aux revenus des entreprises de minage », poursuit ce spécialiste, qui observe que cette activité continue dans le Yunnan, malgré l’interdiction. Avant les restrictions, 65 % du minage mondial de bitcoin étaient effectués sur le territoire chinois. Secoué, le secteur peut toutefois compter sur une nouvelle encourageante : la récente officialisation par le Salvador de la cryptomonnaie comme devise légale. Après avoir dépassé les 60 000 dollars, au printemps, son cours s’est stabilisé audessus de 30 000 dollars. Reste à savoir s’il survivra à l’avènement du e-yuan… ✷ plus sombres de l’ère maoïste font à présent l’objet d’éloges – alors que Deng Xiaoping, leader de 1978 à 1989, en avait une vision très critique. Les aspects les plus négatifs, comme les 30 millions de morts de la Grande Famine de 1959-1961, sont passés sous silence. Il y a cette idée que le Parti guide le peuple, que le chemin parcouru est déjà considérable et que le pays se dirige vers un avenir toujours plus radieux, grâce à un développement rationnel de l’Histoire, dont le PCC a la clef. En fin de compte, le Parti a toujours raison.
Il est donc désormais interdit d’avoir le moindre point de vue critique sur l’histoire du Parti…
On assiste à l’essor d’une orthodoxie qui se fonde notamment sur la dénonciation du « nihilisme historique ». Toute vision qui s’éloigne du discours officiel est taboue. Les autorités ont même récemment ouvert des hot-lines pour que les gens dénoncent des visions erronées de l’histoire du Parti. Cette dernière est érigée au rang de religion dont Xi Jinping est le prophète.
Pourquoi le président actuel remet-il Mao Zedong à l’honneur ?
Xi Jinping a estimé que la logique de démaoïsation lancée par Deng Xiaoping (à partir de la fin des années 1970) avait été poussée trop loin au début des années 2000, et qu’il fallait revenir en arrière. A ses yeux, ce mouvement risquait d’aboutir à un changement de régime similaire à ce qui s’était produit sous Gorbatchev, en URSS. A l’époque, en Chine, la société avait développé une conscience aiguë de ses droits, une capacité d’organisation quasi inégalée dans l’Histoire, et le pays connaissait une forme de pluralisation des opinions, au sein du parti comme de la société. Le culte de Mao s’inscrit aussi dans cette idée de fierté nationale que Xi Jinping a voulu raviver. Mao, c’est le fondateur du régime, celui qui a permis à son pays de reprendre son destin en main. Surtout, il n’y a pas d’autre figure pour légitimer ce régime, contrairement, par exemple, à l’URSS, où Staline a pu être critiqué, notamment en 1956, parce qu’on pouvait aussi se référer à Lénine.
Le parti insiste sur ses « victoires » contre le Covid-19 et contre la pauvreté. La population est-elle satisfaite ?
Avoir des informations fiables est très difficile. Mais il semble que la propagande
fonctionne bien auprès d’une large majorité de la population. Concernant la pandémie, le pouvoir a su retourner le récit à son avantage – la gestion catastrophique de nombre de pays démocratiques l’a aussi beaucoup aidé. Parmi les intellectuels, en revanche – même si certains sont proches du régime –, des réprobations à l’encontre de Xi Jinping s’expriment régulièrement, mais elles sont vite étouffées. Lorsque ce dernier a fait amender la Constitution pour supprimer la limite des deux mandats présidentiels, en mars 2018, plusieurs voix contestatrices ont aussi émergé de l’intérieur du système. Xu Zhangrun, professeur de droit constitutionnel, a écrit un long texte sur les dangers de l’autocratie et les problèmes systémiques du régime politique chinois. Il a été démis de son poste et est, à présent, assigné à résidence. Et, au début de la crise sanitaire, des figures politiques ont appelé à la démission de Xi Jinping.
Le PCC est le deuxième plus grand parti du monde (après le BJP indien), avec plus de 95 millions de membres : qui sont les Chinois qui le rejoignent ?
Aujourd’hui, le PCC compte dans ses rangs 6,8 % de la population chinoise. A son arrivée au pouvoir, à la fin de 2012, Xi Jinping a voulu mettre l’accent sur la qualité des recrutements et sur la loyauté des membres. C’est un parti qui devient de plus en plus élitiste, qui favorise l’engagement de personnes hautement qualifiées, d’universitaires, d’experts et d’entrepreneurs, au détriment des ouvriers et des paysans. Aujourd’hui, il est très difficile d’entrer au Parti. C’est un parcours du combattant qui commence dès le plus jeune âge, avec les Jeunesses communistes. Cela doit faire partie du CV de l’élite socio-économique. Mais elle le fait moins par conviction que par carriérisme.
L’an prochain, Xi Jinping pourrait être le premier dirigeant chinois, depuis Deng Xiaoping, à rester président plus de dix ans… Va-t-il demeurer au pouvoir à vie ?
C’est évident qu’il va faire un troisième mandat. Xi Jinping se retrouve face au problème de tout dictateur. Il a mis tellement de gens en prison, il s’est fait tant d’ennemis, que s’il perd le pouvoir, il est mort. Deng Xiaoping avait eu l’intelligence de planifier sa suite et celle de son successeur. Pour Xi Jinping, la question du passage de témoin va se poser un jour, et il n’est pas à l’abri d’un accident. C’est d’ailleurs, à mon avis, l’une des faiblesses les plus importantes du régime, car, à ce moment-là, toutes les voix critiques, qui sont aujourd’hui étouffées, risquent de s’exprimer.
Quelles sont les autres faiblesses du régime ?
Le Parti communiste a, selon moi, une légitimité fragile parce qu’il a renoncé à ce qui l’animait à l’origine, à savoir la construction du socialisme, l’égalitarisme – qui animait réellement Mao. La Chine est devenue un pays capitaliste très inégalitaire, où énormément de gens sont laissés pour compte. La lutte contre la pauvreté passe avant tout par une croissance économique – qui reste incertaine et peut être soumise à des aléas – et beaucoup moins par des politiques sociales. La crise sanitaire a révélé de profondes vulnérabilités dans le filet de sécurité sociale. Contrairement au discours que tiennent les autorités, la pauvreté n’a pas été éradiquée. Le Premier ministre Li Keqiang a lui-même estimé l’an dernier que 600 millions de Chinois vivaient avec 1 000 yuans, c’est-à-dire 125 euros, par mois. Le régime est sans cesse menacé d’être dépassé sur sa gauche par un mouvement maoïste qui évalue les réalisations du PCC à l’aune de la théorie marxiste. C’est ce qui s’est passé lors de la grève dans l’entreprise Jasic Technology, à Shenzhen, en août 2018. Des étudiants ayant vraiment lu Marx sont venus soutenir des ouvriers qui voulaient créer un syndicat autonome pour pouvoir véritablement défendre leurs intérêts. Ils ont été arrêtés, tout comme les leaders ouvriers. C’est dans ces moments-là que le parti est face à ses propres contradictions.