L'Express (France)

Royaume-Uni Le « royal yacht » de Boris Johnson va-t-il prendre l’eau ?

Le Premier ministre veut un successeur au navire Britannia, désarmé en 1997. Buckingham refuse qu’on lui donne le nom du prince Philip.

- CLÉMENT DANIEZ

C’est l’une des rares fois où le public l’a vue verser une larme. A Portsmouth, ce 11 décembre 1997, Elizabeth II n’a pas réussi à contenir son émotion lors des adieux à son cher Britannia, ce yacht royal de 127 mètres de long qu’elle avait baptisé en 1953. L’aménagemen­t avait été supervisé par la souveraine et son époux.

Elle aimait profondéme­nt parcourir le globe sur ce palais flottant et a reçu, à son bord, une kyrielle de chefs d’Etats – Bill Clinton y a même passé une nuit en 1994. Mais, l’entretien du bateau coûtait de plus en plus cher au contribuab­le. Au grand regret de la reine, le gouverneme­nt de John Major a ordonné son désarmemen­t. Tony Blair, à l’heure des voyages en avion, a ensuite écarté l’idée d’un remplaçant.

Boris Johnson est, lui, décidé à faire machine arrière. Il a annoncé le 30 mai que le Britannia aura bien un successeur, qui entrera en service dans quatre ans. Ce navire illustrera le « statut naissant du Royaume-Uni en tant que grande nation commercial­e maritime indépendan­te ». Un symbole d’une Grande-Bretagne prenant le large, après le Brexit. « L’Empire britanniqu­e s’est bâti sur les mers, Johnson joue de ce passé, observe Georgina Wright, chercheuse à l’Institut Montaigne. Mais il va devoir répondre aux questions du Parlement sur le rôle, encore flou, de ce bateau. » En pleine crise économique, l’opposition ne devrait pas se gêner pour torpiller le projet estimé à

230 millions d’euros. Kenneth Clarke, l’ancien chancelier de John Major, l’a déjà décrit comme « une perte de temps totale, une idiotie populiste sans queue ni tête ».

D’autres écueils pointent à l’horizon. La constructi­on pourrait s’effectuer à l’étranger, alors que le Premier ministre souhaite qu’une entreprise britanniqu­e s’en charge. Mais le traité sur les marchés publics de l’Organisati­on mondiale du commerce, signé par Londres en octobre, soumet de telles commandes à un appel d’offres mondial. Afin de contourner le problème, « Bojo » compte obtenir le statut de « bâtiment de guerre » pour son « étendard national », alors que l’objectif semble pourtant commercial et diplomatiq­ue. Autre souci : l’absence d’enthousias­me de Buckingham. Le locataire du 10 Downing Street espérait donner au futur navire le nom du prince Philip, décédé en avril. Mais, selon The Times, la famille royale s’y oppose et ne compte pas en faire un usage personnel. Pas sûr, donc, qu’un monarque verse un jour une larme pour ce successeur déjà mal embarqué.W

Newspapers in French

Newspapers from France