Hongrie Gergely Karacsony, l’anti-Orban qui défie Pékin
Principal opposant du Premier ministre, le maire écologiste de Budapest refuse que son pays devienne la porte d’entrée de la Chine en Europe.
Nous n’avons pas seulement manifesté contre l’université communiste chinoise, mais également contre le vol de milliards de forints d’argent public et la liquidation de la souveraineté de la Hongrie. Nous ne nous sommes pas mobilisés contre les Chinois, mais pour notre propre pays. » Le 5 juin, au soir d’une manifestation à Budapest contre la création d’un campus de l’université Fudan (de
Shanghai), le maire écologiste Gergely Karacsony, élu en octobre 2019 grâce à une large alliance d’opposition, s’insurge sur Facebook. Pour lui, pas question d’accepter ce projet de 1,5 milliard d’euros financé par un prêt de Pékin.
Trois jours plus tôt, le quadragénaire et la maire du IXe arrondissement de la capitale, une écharpe tibétaine autour du cou, inauguraient des rues, routes et avenues au nom du dalaï-lama, des martyrs ouïgours, de Hongkong libre et de [l’évêque clandestin] Xie Shiguang autour du futur berceau de Fudan. Du 4 au 13 juin, la municipalité centrale a consulté les habitants sur ce chantier controversé : résultat, près de 97% le désapprouvent. Symbole du rapprochement entre le régime marxiste chinois et le gouvernement Orban, Fudan est l’un des chevaux de bataille du candidat Karacsony dans l’optique des législatives de 2022.
Favori de la primaire qui désignera le candidat de l’opposition cet automne, ce proeuropéen convaincu, qui tutoie les 2 mètres sous la toise et dont la sobriété contraste avec la véhémence de Viktor Orban, refuse que la Hongrie devienne un éden des intérêts chinois au coeur du Vieux Continent. Tandis que le parti au pouvoir (Fidesz) parie sur le vaccin Sinopharm contre le coronavirus, ouvre la porte à la technologie 5G du constructeur Huawei, approuve l’implantation de l’université Fudan et modernise le tronçon magyar de la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade en empruntant près de 2 milliards d’euros auprès de la banque d’Etat chinoise Exim, Karacsony, lui, affirme son attachement au bloc occidental. En parallèle, il se montre très critique envers la Russie de Poutine, autre partenaire de poids du Premier ministre hongrois. Au grand dam du pouvoir et de ses affidés. « Fudan propose d’apporter une technologie, un savoir et un bénéfice aussi utiles à la Chine qu’à la Hongrie. Mais Karacsony, antichinois absolu, ne voit pas plus loin que la révolte d’activiste », grince Ervin Nagy, analyste à l’institut XXI. Szazad, proche de l’exécutif actuel. « L’intérêt de la Hongrie est d’entretenir, aux côtés de ses partenaires de l’Union européenne et des Etats-Unis, de bonnes relations avec la Russie et la
Chine, assure-t-il.
Mais Gergely Karacsony veut prendre la tête du pays en s’étant mis Moscou et Pékin à dos. » Dix mois avant les prochaines élections, la question chinoise divise la classe politique. Partisan d’une intense coopération économique avec l’empire du Milieu, Viktor
Orban reste silencieux sur les
exactions ciblant les Ouïgours et conteste toute sanction européenne. Fin mai, lors d’une rencontre bilatérale dans la province de Guizhou, le chef de la diplomatie hongroise louait l’amitié sino-magyare et décorait son homologue chinois d’une médaille de l’ordre du Mérite.
Le 25 mars, a contrario, la municipalité du Ier arrondissement, alliée de Gergely Karacsony, déployait une vaste banderole demandant justice pour la minorité musulmane du Xinjiang, en marge d’une visite du ministre chinois de la Défense à Budapest. Le 5 juin, en point d’orgue du rassemblement anti-Fudan, Karacsony brocardait la soumission du gouvernement aux intérêts de Pékin devant les portes de l’Assemblée. Avec, sur le pupitre, une peluche de Winnie l’Ourson, un personnage censuré en Chine sur les réseaux sociaux, où certains l’utilisent pour évoquer le président Xi Jinping.
Contrôlant la Hongrie depuis onze ans, Orban et le Fidesz renient désormais leurs critiques passées du régime chinois. Lorsque les chars écrasaient les manifestants prodémocratie sur la place Tiananmen, les libéraux d’antan vilipendaient « l’Etat-parti chinois » accusé d’organiser un « bain de sang ». « En 1989, le Fidesz défilait contre la répression des étudiants. Dans la décennie 1990, il voulait renvoyer chez elles les délégations chinoises invitées au Parlement. Au tournant du siècle, Viktor Orban recevait le dalaï-lama. En 2009, son parti dénonçait l’occupation du Tibet. Aujourd’hui, il enchaîne les Hongrois à la Chine », relève l’hebdomadaire libéral HVG.
Si Gergely Karacsony l’emporte au printemps 2022 – hypothèse incertaine, compte tenu de la popularité d’Orban –, il s’engage à empêcher la construction du campus de Fudan au profit de résidences universitaires à loyer modéré. Dans une lettre adressée à Xi Jinping, Karacsony et les autres chefs de l’opposition affirment qu’ils stopperont la réalisation de la ligne Budapest-Belgrade. Mais même s’il réussit à chasser le leader conservateur, Karacsony aura-t-il les moyens de résister à l’influence chinoise en Hongrie, devenue l’une des principales têtes de pont de Pékin au sein de l’ex-bloc soviétique ?
Pour cela, il devra déjà s’imposer comme chef d’une opposition très disparate – de la gauche à l’extrême droite passée au centre, qui serait le reflet du front anti-Orban. Ce 15 juin, la fragile unité s’est lézardée lors du vote de la législation prohibant la « représentation » et la « promotion » de l’homosexualité et de la transidentité auprès des mineurs. Tandis que le parti Jobbik (conservateur, mais dans l’opposition) approuvait le texte, les autres formations boycottaient la séance. Le grand secret ne réside-t-il pas dans l’art de savoir mettre la division ? diasait Sun Tzu, le grand stratège… chinois.