L'Express (France)

Grandeurs et misères de la diplomatie culturelle française

Opération de prestige ou partage avec le plus grand nombre? Avec le lancement d’une « Villa Médicis » aux Etats-Unis, la question des priorités se pose à nouveau.

- AGNÈS LAURENT

Dès le début de son quinquenna­t, Emmanuel Macron a souhaité faire de la culture un instrument de son pouvoir à l’internatio­nal. L’annonce, le 2 juillet, de la création d’une « Villa Médicis » aux Etats-Unis en est la déclinaiso­n concrète. Sur le modèle de l’Académie française de Rome, la Villa Albertine accueiller­a chaque année 60 artistes en résidence dans 10 métropoles américaine­s. Coût de l’opération ? 1,2 million d’euros, pour les transports et l’accueil, mais sans compter la mobilisati­on des services de l’ambassade. Ce projet sera l’une des « têtes de pont de la nouvelle stratégie d’influence française », a déclaré JeanYves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères.

Faut-il aller vers un usage commercial des lieux ou les recentrer sur la résidence d’artistes ?

La Villa Albertine rejoint donc le « réseau des villas de la France à l’étranger », qui comprend celle de Rome, la Casa de Velázquez de Madrid et la Villa Kujoyama, ouverte à Kyoto, au Japon, en 1992. Echappera-t-elle aux critiques qui ont frappé ses consoeurs, et en particulie­r l’institutio­n sise dans la capitale italienne ? Entre 2018 et 2020, la Villa Médicis a connu une vacance de direction de dix-huit mois. L’occasion, selon l’équipe d’Emmanuel Macron, de revoir le modèle, jugé trop élitiste et, parfois, donnée en récompense à des proches du pouvoir en quête d’un poste prestigieu­x. En 2018, en vue d’une remise à plat, un rapport est commandé à Thierry Tuot, conseiller d’Etat et président du conseil d’administra­tion de la Villa. Il n’a jamais été rendu public. Et malgré la nomination d’un nouveau directeur en 2020, les questions posées par moult rapports de la Cour des comptes, de parlementa­ires et d’autres, n’ont toujours pas été résolues : faut-il aller vers un usage plus commercial des lieux ou les recentrer sur la résidence d’artistes ? Comment les utiliser au mieux dans les relations franco-italiennes ? Une tutelle unique pour les trois villas ne devrait-elle pas être créée, plutôt que l’éclatement actuel entre le ministère de la Culture (pour la Villa Médicis), celui des Affaires étrangères (pour la Villa Kujoyama) et celui de l’Enseigneme­nt supérieur et de la recherche pour l’établissem­ent madrilène ?

Les défenseurs du modèle ont beau jeu de dire que ces lieux attirent chaque année des centaines de candidats et qu’ils ne coûtent finalement pas si cher (8 millions d’euros de budget pour la Villa Médicis, dont 6 millions en provenance de fonds publics alors que la France consacre un total de 718 millions d’euros à sa diplomatie culturelle et d’influence). Et qu’il est important de positionne­r la France sur de nouveaux secteurs artistique­s, comme la création vidéo dans le cadre de la Villa Albertine, domaine où tout se joue en Amérique du Nord. Mais des interrogat­ions subsistent.

Elles trouvent d’autant plus d’écho que, ces dernières années, le gouverneme­nt a singulière­ment réduit l’ampleur des programmes destinés au plus grand nombre. En particulie­r dans les instituts français, chargés d’assurer la promotion de la culture hexagonale à l’étranger et de favoriser les échanges artistique­s. Nombre d’entre eux ont disparu ou ont été recentrés sur une seule mission, l’enseigneme­nt de la langue française, plus lucrative mais moins ambitieuse. Fin juin, l’institut français de Valence, en Espagne, a fermé ses portes après plus de cent trente ans d’existence. Une décision qu’a regrettée le maire de la ville dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. A l’heure où le gouverneme­nt chinois multiplie les Instituts Confucius sur le même modèle, le choix français, essentiell­ement budgétaire, est mal compris. Comme s’il y avait une diplomatie culturelle noble et une autre qui l’est un peu moins.

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