Comment l’Etat recase les militaires
Chaque année, ils sont 20 000 à quitter l’armée. Défense Mobilité se démène pour les aider à se repositionner dans la vie professionnelle. Signe de la gratitude de la nation envers ses protecteurs.
Ya-t-il une vie après l’armée ? Chaque année, sur près de 300 000 militaires, 20 000 quittent les rangs de la Grande Muette pour rejoindre la vie civile. Afin d’accompagner leur transition, l’Etat recourt à Défense Mobilité, une agence de reconversion. Ils sont reclassés dans des domaines variés : logistique, transports, fonction publique, emplois réservés, etc. Des partenariats sont signés, notamment avec des entreprises privées telles que Carrefour ou Disneyland Paris. Un enjeu crucial pour le ministère des Armées, qui y voit un moyen d’inciter les hésitants à s’engager, alors que le recrutement de jeunes soldats devient de plus en plus difficile.
« La majorité des militaires sont sous contrat. Nous savons qu’ils vont quitter l’armée cinq ou dix ans après leur entrée, note Maylis de Gonfreville, qui travaille pour Défense Mobilité. Le militaire possède un droit à la reconversion et à la réintégration dans la vie civile. Ce service a donc été mis en place. » Opérateur unique, l’agence est répartie en 36 antennes régionales, rattachées à 5 pôles. Près de 700 personnes sont vouées à cet accompagnement personnalisé, délégué par Pôle emploi à la cellule du ministère des Armées.
Une manière d’attester qu’ils ne seront pas lâchés dans la nature à la sortie. « Il faut rappeler où en sont les militaires à ce moment-là : ils ont évolué dans un cadre bien défini pendant, souvent, près de dix ans et ils ne connaissent que peu, ou pas du tout, le monde du travail », explique Dominique Lecerf, auteur d’une thèse sur la reconversion des militaires. Quelquesuns doivent même apprendre à faire un CV. « Il s’agit que celle-ci soit réussie pour leur montrer que, de même qu’ils savent qu’un service de santé les attend s’ils sont blessés au front, ils peuvent compter sur une agence qui mettra tout en oeuvre pour les orienter », poursuit-il.
« C’est un argument de fidélisation pour les armées », abonde Maylis de Gonfreville. Restez avec nous… car on vous aidera à partir plus tard.
Au programme : un accompagnement destiné à connaître le projet du militaire ; une formation, si nécessaire, est recommandée – le pôle en propose 47 ; une préparation aux entretiens d’embauche. « Notre objectif est que la personne puisse sortir avec un diplôme supérieur à celui avec lequel elle est rentrée », souligne l’experte. Erick, ancien soldat, en a profité : « J’ai quitté l’école très jeune, en ayant passé aucun examen, raconte-t-il. Pas de diplôme certifiant. Autant dire qu’imaginer la suite était très compliqué. » Suivi par l’agence de reconversion de la Défense – devenue Défense Mobilité –, il obtient un CAP pour devenir chauffeur routier. Depuis, il exerce à son compte dans son département natal, l’Aude. Comme notre engagé, les militaires du rang sont souvent orientés vers des emplois dans les secteurs des transports, de la logistique ou de la sécurité. « A croire que nous ne sommes bons qu’à ça », soupire Mike Echo. Cet ex-soldat s’est tourné vers l’agence un an avant de renoncer à l’armée. Il imaginait pouvoir étudier dans de prestigieuses universités aux Etats-Unis. Las, il a fini par choisir de « se débrouiller tout seul ». « Pour le gros de la troupe, Défense Mobilité ne propose que deux solutions : chauffeur poids lourd ou agent de sécurité. J’ai le sentiment d’avoir été baladé », explique-t-il. Aujourd’hui salarié dans un cabinet de conseil, Mike reste amer : « Tout s’est passé comme si l’agence était surtout là pour éviter qu’on soit au chômage. Au fond, peu importe le job ! Quand on est soldat, il ne faut surtout pas plomber les chiffres. »
Au détriment de l’avenir des partants ? « Défense Mobilité va là où il est plus facile de reclasser, et de reclasser vite », confirme Dominique Lecerf. Un objectif que le pôle du ministère ne renie pas : le parcours de reconversion d’un militaire dure en général six mois, à compter de son départ effectif de l’armée. « Il est en général plus long pour les officiers supérieurs, pour lesquels il avoisine un an, reconnaît Maylis de Gonfreville. C’est parce que nous allons nous attacher à ce qu’ils retrouvent des postes de même niveau que ceux qu’ils occupaient dans l’institution militaire. »
« Les entreprises sont à la recherche de compétences managériales. Les officiers ont une expérience à valoriser particulièrement appréciée dans ce monde-là », assure Clément Têtu. Ce diplômé d’une école de commerce, passé par l’armée dans le cadre d’une année de césure, a créé un blog, Pépite, qui entend délivrer des conseils. « Beaucoup de personnes se sous-estiment encore et partent au fin fond du Nigeria pour garder une plateforme pétrolière, par exemple. Ils imaginent qu’ils ne pourront jamais faire autre chose, alors qu’ils ont des compétences à valoriser. »
Le réseau tissé par le ministère des Armées est plus « classieux » : Airbus, Thales, Decathlon… Une trentaine de grandes entreprises ont noué des partenariats ; et si Défense Mobilité jure ses grands dieux qu’aucun passe-droit n’est accordé aux militaires, leur processus de recrutement est clairement facilité. « Nous leur proposons un lien privilégié avec les entreprises grâce à un accès aux offres d’emploi, admet Maylis de Gonfreville. En un mot, ils ont toutes leurs chances d’être reçus en entretien. » Du moins, s’ils ont atteint un certain niveau dans les forces armées. « Je n’ai jamais vu un militaire du rang entrer chez Thales, ça, c’est sûr ! » s’amuse un ancien soldat.
Depuis la mise en place, en 2017, du « plan famille » réservé aux armées, Défense Mobilité a développé une nouvelle stratégie pour draguer les militaires : celle d’un accompagnement du conjoint – ou plutôt, le plus souvent, de la conjointe. Finie l’image de la femme au foyer qui attend le retour de son soldat de mari. Pour plaire aux nouvelles générations, il faut désormais se positionner sur le métier des compagnes. « Quand le soldat bouge, les femmes démissionnent souvent pour le suivre, révèle Maylis de Gonfreville. A ce moment-là, on les aide en tenant compte des contraintes inhérentes à leur mobilité : elles passent parfois de Paris à une ville d’Ardèche, où le tissu économique est très différent. » Engagez-les, qu’ils disaient… Trois ans après le lancement de l’opération, les retombées sont encore modestes. En 2020, seules 1 487 conjointes ont été reclassées. ✷