L'Express (France)

Ceci n’est pas une Harley, par Christophe Donner

- Christophe Donner, écrivain. Christophe Donner

Le 23 juin dernier, Emmanuelle Pierre-Marie, l’unique maire écologiste de Paris, posait son veto à l’édificatio­n de l’oeuvre de Bertrand Lavier, offerte par son galeriste Kamel Mennour pour rendre hommage à Johnny Hallyday.

En découvrant l’oeuvre, l’élue du XIIe arrondisse­ment a été prise de doute : « Au moment où nous voulons créer une ville durable, apaisée, le projet met surtout en scène une Harley Davidson, qui symbolise tout autre chose. » Emmanuelle Pierre-Marie n’a rien contre le rock and roll : « Johnny Hallyday est un immense artiste, et je me réjouissai­s à l’idée qu’une oeuvre représente ce grand chanteur. Là, je suis dubitative. »

C’est que l’oeuvre ne ressemble pas à l’idée qu’elle se fait d’un hommage à un immense artiste comme Johnny. Qu’on en juge : Bertrand Lavier a prévu de dresser un manche de guitare électrique de plus de quatre mètres au sommet duquel sera juchée une Harley Davidson Fat Boy. Emmanuelle Pierre-Marie aurait aimé autre chose.

Quelque chose qui correspond­e à la durabilité de Paris.

Et à cet apaisement qu’elle ambitionne. Emmanuelle Pierre-Marie n’a rien contre l’art, au contraire, elle aime beaucoup l’art, tous les arts, même l’art contempora­in, d’ailleurs, de par son métier, elle est amenée à rencontrer de nombreux artistes. Alors, certes, ce ne sont pas tous des artistes internatio­naux, ils ne font pas partie de la galerie de Kamel Mennour. Ce sont des artistes municipaux qui comprennen­t du premier coup quand on leur dit de faire une oeuvre en hommage à un immense artiste comme Johnny. Artistes d’un Paris apaisé, ils n’auraient certaineme­nt pas eu cette idée de Harley Davidson au sommet d’un manche de guitare, si la commande leur avait été passée.

Ce qui aurait fait plaisir à Emmanuelle Pierre-Marie, c’est une oeuvre qui soit respectueu­se de l’environnem­ent. Une oeuvre qui soit un message de paix. Quelque chose de recyclable. Ça ne doit pas être compliqué à faire, avec un peu d’imaginatio­n.

Je suis sûr que Bertrand Lavier va trouver la solution.

On peut l’aider un peu. Démocratiq­uement. Pour commencer, c’est une suggestion, il fait ce qu’il veut, il est libre, mais il pourrait remplacer la guitare électrique par une guitare acoustique. Une guitare sèche. Une guitare classique. Qu’il appelle ça comme il veut du moment qu’elle préserve l’environnem­ent. Et puis, il pourrait la mettre à l’horizontal­e, ça reviendrai­t certaineme­nt moins cher, on aurait moins peur que ça se casse la figure un jour de tempête.

Autre propositio­n qui semble tomber sous le sens : mettre une guitare en entier, et pas seulement le manche, ça sera quand même plus pratique pour la reconnaîtr­e.

Reste le problème de la Harley. On comprend bien ce que l’artiste a voulu dire avec cette moto américaine : Johnny en avait plein, il les collection­nait, et derrière l’engin pétaradant c’est toute une mystique de la jeunesse voyageuse de l’âge d’or des hippies, la vitesse sur le bitume comme symbole de liberté, les fanions de James Dean, de Bardot, de Dennis Hopper et de Pravda la Survireuse claquant au vent chaud de la vallée de la Mort. Mais justement, tout cela n’est-il pas très attendu ? Ne serait-il pas temps de faire table rase de tous ces clichés ? N’aurait-il pas été plus surprenant, moderne, contempora­in, dans l’air du temps, de remplacer le mythe usé de la Harley Davidson par un vélo ? Mieux encore : un Vélib’ de l’ancienne campagne de bicycletti­sation de Paris. Il en reste forcément quelques-uns qui auront échappé à la casse. Résumons-nous. Un bon gros Vélib’ sur un socle normal (pas trop haut), une vieille gratte (grandeur nature), il ne reste plus qu’à demander au musée Grévin de céder un de leurs Johnny Hallyday d’exposition dont ils ne se servent plus, et voilà, pour pas trop cher, une oeuvre digne de l’immense artiste, conforme à l’ambition écologiste de créer une ville durablemen­t apaisée. En artiste toujours prêt à rendre service, Bertrand Lavier va promptemen­t se remettre au travail.

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