Du vert au milieu du béton
Lieux de transition écologique citoyenne, les fermes urbaines font resurgir un patrimoine oublié et créent du lien social.
Un troupeau de vaches en plein coeur de Nantes, des champs de blé ancien au centre de Roubaix, des fraisiers dans des conteneurs au pied des immeubles parisiens… « L’agriculture urbaine connaît un changement d’échelle : on le voit bien quand le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, décide d’accompagner massivement des projets, notamment en débloquant des fonds. En témoigne aussi la volonté grandissante des acteurs locaux, élus comme institutions », s’enthousiasme Nicolas Grivel. Directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, il pilote l’appel à projets Quartiers fertiles. Doté d’un budget de 34 millions d’euros, ce programme vise à déployer l’agriculture urbaine au sein des quartiers prioritaires des villes. Parmi les premiers lauréats, JeanNoël Gertz, cofondateur de Cycloponics – startup parisienne spécialisée dans la transformation et la reconversion des souterrains urbains inutilisés – a ainsi lancé une culture de champignons à Strasbourg… dans un ancien bunker. « Il y a un marché en France pour le bio et le circuit court, encore fautil trouver l’espace pour s’installer à proximité des consommateurs. La ferme urbaine a tout pour séduire, elle répond à toutes les tendances du marché », expliquetil.
A l’instar du plan national, les municipalités subventionnent localement ces nouvelles formes d’exploitations. « Ces projets utilisent intelligemment des espaces délaissés, des friches, des parkings… On assiste à une libération de foncier en faveur de la végétalisation de la ville. Il y a aussi une appropriation de ces fermes urbaines par les habitants ; c’est un ancrage social. Cela met du vert, du beau, de l’attractif dans les quartiers », assure Nicolas Grivel.
« Ce modèle, en l’état actuel, ce n’est pas ce qui va nourrir les villes. On est loin de l’autonomie ou de l’autosuffisance alimentaire. Mais le maraîchage est un formidable outil de création de lien social », souligne Marie Fiers, coordinatrice nationale de l’Association française d’agriculture urbaine professionnelle. Selon elle, le concept « reconnecte le citadin à son alimentation et permet à des agriculteurs longtemps maltraités d’exister à nouveau au premier plan ».
A Bordeaux, Laure, avocate en droit des affaires, ne s’imagine plus se passer de sa ferme de quartier. Elle y récupère chaque semaine son panier de fruits et légumes et n’hésite pas à plonger les mains dans la terre. « J’ai fait connaissance avec des voisins que je croisais depuis dix ans sans avoir jamais échangé plus de deux mots. En participant à des ateliers, j’ai appris à décrocher de la frénésie de mon métier. » Ces lieux font resurgir un patrimoine oublié. Celui du geste, héritage d’une époque où chacun suivait la saisonnalité des fruits et légumes. Mais aussi celui d’une architecture, notamment à Versailles, où la société Nature & Découvertes a choisi de remettre dans la lumière les étangs Gobert, réservoirs du château de Versailles laissés en friche, en établissant une ferme urbaine exemplaire. Maires et chefs d’entreprise se pressent sur le site pour s’en inspirer. « On est aux portes d’une des trois plus grandes gares d’IledeFrance, avec tout le trafic et les nuisances que cela implique, pourtant ici le calme règne. Il y a les odeurs des framboisiers et des plantes aromatiques : une oasis olfactive », affirme Catherine Szydywar, responsable communication du groupe. Une parenthèse végétale seulement troublée par les caquètements venus du poulailler.