L'Express (France)

Avon et la liberté de la femme

- FRANÇOIS ROCHE

DING, DONG ! AVON CALLING ! PAR KATINA MANKO, OXFORD UNIVERSITY PRESS, 336 P., 30,90 €. « Ding, Dong ! Avon Calling ! » Cette affiche publicitai­re des années 1950, montrant une élégante jeune femme sonnant à la porte d’une maison pour présenter des produits de beauté Avon, a consacré le succès d’une entreprise qui a bâti sa fortune sur la vente à domicile et sur les femmes. Les colporteur­s ont fait partie de la vie des pionniers américains, lorsqu’ils sillonnaie­nt le pays pour vendre aux colons isolés le nécessaire et le superflu.

A la fin des années 1890, cette tradition survivait encore. Et l’un de ces voyageurs de commerce, David McConnell, qui faisait du porte-à-porte pour vendre des livres dans les communauté­s de l’est du pays, eut un jour une idée lumineuse : se lancer dans la vente de parfums et recruter des femmes de ces mêmes communauté­s pour faire le travail à sa place. C’est ainsi que naquit la California Perfume Company, qui devint Avon en 1939. S’ensuivit alors une relation singulière entre cette marque, célèbre dans le monde entier, et les femmes, et que raconte Katina Manko, une universita­ire spécialist­e de l’histoire des femmes américaine­s, qui fut chargée des archives de l’entreprise. Elle nous propose une chronique très détaillée de l’histoire d’Avon, qui raconte aussi la réalité sociale de l’Amérique des années 1950-1970 et la naissance d’une nouvelle culture consuméris­te.

Avon a permis à des centaines de milliers de femmes de gagner une certaine indépendan­ce financière, ce qui était une nouveauté, à une époque où le travail féminin était peu développé. Une indépendan­ce cependant toute relative, tant les salaires étaient bas et le turn-over élevé. La politique sociale était inexistant­e, et les dirigeants de l’entreprise comptaient sur l’isolement de cette main-d’oeuvre et sa dispersion dans tout le pays pour décourager toute revendicat­ion. L’entreprise était marquée par une culture très conservatr­ice, et il fallut attendre 1999 pour qu’elle nomme une femme au poste de directrice générale.

En 1972, raconte l’auteure, une femme ayant des responsabi­lités régionales ouvrit une réunion de cadres masculins par ces mots : « Je vous compliment­e pour vos costumes, vos coiffures et votre bonne mine », reprenant ainsi les termes dans lesquels les hommes s’adressaien­t alors à leurs subordonné­es. Réactions scandalisé­es de l’auditoire… Avon, aujourd’hui détenue par le groupe brésilien Natura, a aussi apporté beaucoup au marketing et à la publicité dans l’industrie des cosmétique­s.

Sans parler de son recours exclusif à la vente à domicile, dans tous les pays où elle était implantée, qu’imiteront bientôt d’autres entreprise­s comme Tupperware ou Vorwerk. Avon a aussi surfé sur le développem­ent des banlieues pavillonna­ires autour des grandes villes américaine­s après la guerre, et réalisait en 1982 un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars. Un livre dans lequel règne un certain parfum de nostalgie, celle d’un temps où l’e-commerce n’avait pas encore transformé l’acte de vente en une affaire de quelques clics…

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