L'Express (France)

Pour un Nasdaq européen, par Nicolas Bouzou

Notre continent compte de plus en plus de start-up prometteus­es. Une Bourse de la tech les aiderait à grandir.

- Nicolas Bouzou Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.

En 2020, la French Tech a levé le montant record de 5,4 milliards d’euros. Contentsqu­are, une start-up française de marketing numérique, a récupéré en mai dernier 500 millions de dollars auprès d’investisse­urs, ce qui est énorme au regard de l’historique des levées de fonds françaises. Ce magnifique mouvement n’est pas cantonné à l’intérieur des frontières hexagonale­s.

L’an dernier, 52 start-up européenne­s sont devenues des licornes, valorisées à plus de 1 milliard de dollars. Notre continent compte même désormais un« titan », c’est-à-dire une entreprise valorisée à plus de 50 milliards de dollars. Il s’agit de la néerlandai­se Adyen, spécialisé­e dans le paiement en ligne. La suédoise Spotify devrait suivre dès cette année.

Attention à l’euphorie excessive !

Il n’y a pas encore de Gafam européen, mais une vraie montée en puissance de nos start-up. On ne peut que s’en réjouir, mais, attention : le contexte financier facilite les levées de fonds et augmente artificiel­lement la valorisati­on des entreprise­s. En effet, la valeur d’une société est égale à la somme de ses profits

(ou dividendes) anticipés, rapportée à un taux d’actualisat­ion. Certains calculs prennent comme approximat­ion du taux d’actualisat­ion le taux d’intérêt sur les dettes publiques qui, en Europe, est proche de 0 (au moment où j’écris ces lignes, le taux d’intérêt français sur les obligation­s publiques à dix ans est à 0,1 %). Dans cette hypothèse radicale, la valeur d’une entreprise tend quasiment vers l’infini. C’est évidemment absurde. Mais un environnem­ent de marché dirigé par une politique monétaire à ce point expansionn­iste génère une euphorie frappante et excessive pour tous ceux qui fréquenten­t le monde financier, et qui sont encore capables de prendre un peu de recul.

Depuis quinze ans, l’écosystème européen de l’innovation a produit de nombreuses start-up. Ces entreprise­s ont eu des difficulté­s à grandir, faute de financemen­ts suffisants au moment de l’industrial­isation et d’un marché unique qui leur permette d’amortir leurs investisse­ments. Mais ces deux obstacles sont de moins en moins haut. La Commission européenne essaie d’harmoniser les règles nationales dans le numérique, même si les langues parlées dans chaque pays restent un frein. Quant au marché du capital-investisse­ment, il se structure, en France notamment. Les fonds et les start-up grossissen­t, se renforçant les uns les autres. Le crédit d’impôt recherche associé à une imposition fixe de 30 % sur les revenus du capital constitue une combinaiso­n fiscale plutôt attractive pour les entreprise­s comme pour les investisse­urs. Une autre excellente nouvelle : récemment, le fonds de capital-investisse­ment de Bpifrance, avec un ticket d’entrée de 5 000 euros destiné à drainer une partie de l’abondante épargne des ménages vers l’innovation, a remporté un succès inattendu et a été totalement souscrit avant la date prévue. Un peu moins de 100 millions d’euros iront ainsi financer 1 500 start-up françaises.

Un magnifique projet pour la présidenti­elle

La France et l’Europe doivent désormais passer à l’étape suivante. Pour une entreprise qui réussit, l’introducti­on en Bourse reste souvent un passage obligé. Or l’Europe ne dispose pas d’un Nasdaq européen, c’est-à-dire d’une place de marché spécialisé­e dans les entreprise­s innovantes. Euronext ne joue pas ce rôle. Cette Bourse est trop traditionn­elle et, pour les investisse­urs qui lorgnent les start-up, pas assez liquide. Elle n’est pas entourée d’un aréopage d’analystes financiers et d’intervenan­ts capables d’accompagne­r une jeune biotech ou une pépite de l’intelligen­ce artificiel­le qui doit lever de l’argent en Bourse pour financer une croissance exponentie­lle. En conséquenc­e, les licornes européenne­s sont encore nombreuses à se faire coter aux Etats-Unis. Pour prendre un exemple devenu emblématiq­ue, la biotech allemande BioNTech est cotée au Nasdaq.

Voilà un magnifique projet concret pour le débat présidenti­el qui s’amorce : convaincre nos amis allemands de proposer à un maximum de partenaire­s un Nasdaq européen. Notre économie en a besoin, mais notre politique communauta­ire aussi.

Les opinions publiques exigent du concret, et les Vingt-Sept doivent montrer qu’ils sont capables d’agir pour la puissance économique et technologi­que de notre continent. Fédérer quatre ou cinq pays de l’Union européenne autour de la constructi­on de ce marché permettrai­t d’accélérer dans la course au rattrapage technologi­que que nous devons absolument mener vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. Ces deux nations resteront loin devant nous si nous ne sommes pas plus volontaris­tes, et nous relégueron­t économique­ment au rang de sous-traitants.

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