Qwant, les ratés du moteur tricolore
Ce concurrent de Google affiche des pertes et fait appel à l’argent du groupe chinois Huawei. Un comble pour ce chantre de la souveraineté.
Tout un symbole. Ce lundi 5 juillet, au lendemain de la fête nationale américaine, Raphaël Auphan vient d’être nommé directeur général de Qwant. Il succède à Jean-Claude Ghinozzi à la tête du moteur de recherche censé être le phare de l’indépendance technologique européenne face aux géants omnipotents de la Silicon Valley. Pour séduire, le concurrent français de Google s’est glissé dans les habits du protecteur des données personnelles des internautes. Soutenu par la Banque européenne d’investissement, la Caisse des dépôts et le groupe allemand Axel Springer, Qwant a également obtenu le soutien du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, du secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, et, surtout, celui du président de la République, Emmanuel Macron. Ce dernier avait même invité son cofondateur Eric Léandri lors de son déplacement en Chine en 2018.
Mais trois ans plus tard, l’heure n’est plus aux photos et aux sourires face caméras. Eric Léandri a quitté la société début 2020 et son successeur, Jean-Claude Ghinozzi, va faire de même cette semaine après avoir néanmoins réussi à réduire les dépenses. Difficile de tailler des croupières à l’hégémonique Google, ultradominant dans l’Hexagone (92 % de parts de marché), loin devant Bing de Microsoft (3,7 %), Yahoo! (1,36 %) et Qwant (0,98 %), bon dernier du classement selon les données du mois de mai de Statcounter. Capter l’attention des utilisateurs et changer leurs habitudes ne s’avère guère aisé et demande des moyens. Beaucoup de moyens. Car la firme californienne équipe plus de 7 téléphones sur 10 vendus dans le monde avec son système Android et son moteur de recherche. Lequel est également imposé par défaut dans son navigateur Chrome sur les PC mais aussi sur les iPhone et les iPad moyennant un versement de 8 à 12 milliards de dollars par an à Apple. Une position indéboulonnable. Sauf que Bruxelles l’oblige, depuis l’an dernier, à proposer des solutions alternatives aux clients équipés de smartphones Android. De quoi laisser un peu d’air aux concurrents. La start-up tricolore a pu en profiter, mais elle accumule tout de même plus de 75 millions d’euros de pertes, et se voit contrainte de partir régulièrement à la pêche aux fonds pour survivre.
Quitte à être de moins en moins exigeante sur le profil de ses investisseurs,
comme l’a révélé le site d’informations Politico. La voilà prête à accepter un prêt obligataire de 8 millions d’euros de la part du groupe chinois Huawei, pourtant suspecté de faire peser des risques sur la sécurité nationale avec ses antennes de téléphonie mobile 5G. « Qwant manque régulièrement d’argent pour se développer, note un ancien salarié. Et comme elle est de plus en plus désespérée, elle est aussi de moins en moins regardante sur la provenance des fonds. »
Le moteur de recherche équipe déjà certains appareils du groupe de Shenzhen (le P40 et le P40 Pro) privés des services de Google après la décision de Washington de placer Huawei sur une liste noire. Mais cela reste insuffisant. Les pertes se sont creusées de 50 % en 2019, à 23,5 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de seulement 5,8 millions d’euros. L’an dernier, et ce malgré la pandémie, le déficit est néanmoins revenu à son niveau de 2018 (autour de 13 millions d’euros), et les revenus ont atteint pour la première fois les 7,5 millions d’euros. On n’ira pas jusqu’à crier victoire, mais les coupes budgétaires ont commencé à porter leurs fruits. Les locaux du XVIIe arrondissement, dans le nord-ouest de la capitale, situés entre les ambassades de Guinée et du Sri Lanka, ont été abandonnés pour des bureaux plus petits et moins chers dans la banlieue huppée de Neuilly-surSeine (Hauts-de-Seine). Avec, à la clef, une économie de 300 000 euros par an. Le nombre de salariés est tombé en dessous de 100 et les multiples diversifications ont disparu. Adieux Qwant Pay (système de paiement), Qwant Med (médecine), Qwant Sport, Qwant AI… « On partait dans tous les sens, on se dispersait beaucoup trop », note-t-on en interne. Autant d’initiatives gourmandes en ressources. Pour autant, rien n’est encore réglé. Un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 3 millions d’euros a été souscrit et une nouvelle arrivée d’argent frais se fait attendre.
« Lever de 10 à 20 millions d’euros à la fois ne servirait à rien à ce stade car cela ne suffirait pas à créer une vraie croissance, estime son cofondateur JeanManuel Rozan. Il faudrait davantage recruter un ou plusieurs actionnaires
stratégiques capables de nous aider à toucher des millions de clients. »
Le français s’appuie déjà sur son association avec Microsoft. Jusqu’à présent, la quasi-totalité du chiffre d’affaires provenait de la vente de bandeaux publicitaires grâce aux technologies Advertising fournies par l’américain. Cette dépendance à la multinationale s’accompagne d’une seconde, concernant cette fois la profondeur de l’index du moteur de recherche, c’est-à-dire le répertoire des pages Web, des photos ou des vidéos qui s’affichent en page de résultats. Certaines proviennent de Bing, comme le reconnaissait Eric Léandri, le PDG de l’époque, interrogé par L’Express. « Nous devons faire appel à eux pour certains types de contenus mais cela est temporaire », avait-il lâché en 2018, un brin excédé.
Aujourd’hui, près de 40 % des résultats des requêtes proviennent toujours de Bing. La société se réjouit même d’avoir signé, en 2019, une nouvelle convention avec le groupe de Redmond (Washington). Entre les financements chinois et les technologies, pour partie américaines, la souveraineté européenne a du plomb dans l’aile. Pourtant, les salariés comme les hommes politiques veulent toujours y croire. Jusqu’à Qwant ?