L'Express (France)

Vaccinatio­n : du sur-mesure pour convaincre les hésitants

Le niveau des restrictio­ns à la rentrée dépendra de la couverture vaccinale. Mais le plus difficile commence : toucher les réfractair­es. Reportage en Seine-Saint-Denis, vitrine de « l’aller vers ».

- PAR STÉPHANIE BENZ

Josyane, 71 ans, a sorti son joli gilet mauve et sa plus belle broche. Elle a pris son courage à deux mains, sa canne aussi. Cahin-caha, elle a franchi le pas de la vaccinatio­n. En ce matin pluvieux, elle n’a que quelques mètres à parcourir pour recevoir sa première dose. Les agents de la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) de Seine-SaintDenis ont déployé leurs barnums au pied des hautes tours de la cité où elle réside, la Capsulerie, à Bagnolet. Les dealers, d’habitude installés sur la petite place ronde, ont posé leurs chaises pliantes un peu plus loin, et quelques dizaines d’habitants se pressent autour des tentes blanches.

Ces piqûres sans rendez-vous, à deux pas, quelle aubaine ! De quoi leur faciliter la vie et, surtout, les rassurer. Josyane, par exemple, avait bien reçu « un papier de la Sécu » voilà quelques mois, lui rappelant qu’elle faisait partie des publics prioritair­es. Mais ce n’était pas suffisant pour la convaincre : la peur des effets secondaire­s restait plus forte que celle de la maladie. Ses enfants,vaccinés, et ces injections de proximité l’ont fait changer d’avis. Comme Rachid, le buraliste, Christophe, l’agent de propreté, qui travaillai­t juste à côté ce matin-là, ou ce groupe de Chinois, la plupart sans papiers, venus parce que l’un d’eux a été averti la veille par un texto en mandarin de l’Assurance-maladie. Ils seront presque 200 à tendre leur bras aux infirmiers et aux médecins. « Cela paraît peu. Mais, à chaque opération, nous touchons des gens qui ne seraient pas allés dans un centre », se réjouit Aurélie Combas-Richard, l’énergique directrice de la CPAM du départemen­t, qui, ce matin, court partout, organise les files, cherche une solution pour l’imprimante en panne, une chaise pour ce monsieur de 79 ans, à l’accent d’Afrique du Nord, costume élégant, qui attend son attestatio­n…

Un peu partout en France, le rythme des injections connaît un inquiétant ralentisse­ment, alors que le variant Delta, plus contagieux, oblige à protéger une très large part de la population dans l’espoir d’éviter une nouvelle vague avec son lot de restrictio­ns. Pour les autorités sanitaires, c’est maintenant que le plus difficile commence : convaincre les hésitants. « On ne parle pas là des antivaccin­s, mais bien d’une frange de la société souvent éloignée du système de santé : si celui-ci ne va pas vers eux, ils ne viendront jamais spontanéme­nt », confirme le Pr Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique.

Dans le « 9-3 », Aurélie Combas-Richard est une convaincue de la première heure. Alors que le rôle normal des CPAM est de payer les vaccinateu­rs, elle demande dès février à ses équipes de contacter tous les plus de 75 ans du départemen­t dépourvus de médecin traitant et n’ayant perçu aucun remboursem­ent de soins depuis plus de six mois. Au départ, il faut… 19 appels pour décrocher un rendez-vous. « Certains croyaient à un canular », se souvient-elle. Mais, quand ils sont d’accord, des agents municipaux vont chercher les volontaire­s chez eux et les conduisent jusqu’à un centre dédié, ouvert dans les locaux de la Caisse, à Bobigny, la préfecture.

Ensuite, lorsque la campagne s’élargit à toutes les tranches d’âge, les équipes de la CPAM créent un « vaccidrive » géant sur le parking du Parc des exposition­s de Villepinte et lancent cette opération itinérante au pied des tours. Une initiative que l’Agence régionale de santé (ARS), qui anticipe un ralentisse­ment des rendezvous pendant l’été, demande désormais à

tous les centres de vaccinatio­n du départemen­t de reproduire, « pour mobiliser dans l’hyperproxi­mité, là où vivent les personnes », précise Sylvaine Gaulard, directrice de la délégation départemen­tale de l’ARS en Seine-Saint-Denis.

Le conseil général a créé des bus de vaccinatio­n et la Croix-Rouge propose des injections dans les points de distributi­on alimentair­e. Quant à la préfecture, elle a été parmi les premières en France à installer des vaccinateu­rs dans un centre commercial, celui de Rosny-2, l’un des plus grands de la région parisienne. Un pari gagnant : « Nous étions dans un gymnase voisin, mais, depuis que nous avons déménagé à côté de l’hypermarch­é, avec un accueil sans rendez-vous, nous faisons nos meilleures journées, avec parfois plus de 800 injections par jour », se réjouit le Dr Bernard Benchimol. Dès janvier, « en colère contre le gouverneme­nt qui n’arrivait pas à organiser une campagne digne de ce nom », ce généralist­e de Rosny-sous-Bois avait remué ciel et terre pour ouvrir un centre, avec l’aide de la municipali­té. Grâce à son réseau de profession­nels et à un groupe WhatsApp très réactif, la structure tourne bien : des équipes vont chez les personnes âgées, et des demandes d’autorisati­on ont été faites pour vacciner dans les parcs et les espaces verts, à « Rosny-plage », ou lors de concerts en extérieur.

Bilan de ces efforts ? « Si l’on regarde le nombre de premières injections, la SeineSaint-Denis n’est plus le départemen­t le plus en retard », constate Alain Fischer, le président du Conseil d’orientatio­n de la stratégie vaccinale. Preuve que l’« aller vers » fonctionne. « Le gouverneme­nt a demandé à toutes les ARS de développer une offre similaire. Des initiative­s sont prises un peu partout », souligne le professeur. Suffiront-elles, alors que les différente­s vagues ont souvent démarré dans des quartiers défavorisé­s et frappé durement leurs habitants ? « Le problème, c’est que notre santé publique de terrain n’est pas assez développée. Dans beaucoup d’endroits, ces méthodes éprouvées ne sont pas appliquées, par méconnaiss­ance ou par manque de ressources. Il restera des zones non vaccinées, qui seront problémati­ques, c’est certain », regrette le Pr Chauvin, justement chargé d’une mission sur cette question pour le gouverneme­nt. Josyane, elle, l’assure : « S’ils n’étaient pas venus jusqu’ici, je ne me serais jamais fait vacciner. »

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