La Macronie tâtonne : comment faire dégonfler Xavier Bertrand ?
L’attaquer, au risque de l’installer ? L’ignorer, au risque de le voir s’envoler ? Face au président des Hauts-de-France, les amis du chef de l’Etat hésitent.
« Mieux vaut une bonne frappe chirurgicale bien sentie que de sortir la sulfateuse ! »
Haro sur Xavier Bertrand ! A peine avait-il terminé son discours de victoire, tourné tout entier vers 2022, que le président réélu des Hautsde-France a vu les porte-flingues du chef de l’Etat pointer leur viseur sur son front. Le soir même, Maud Bregeon, porte-parole de LREM, sur Europe1 : « Bertrand, c’est un François Hollande de droite, mais en moins drôle. » Dans Les Echos, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement : « On veut nous vendre “Xavier le réformateur” mais c’est “plastic Bertrand”. » Dans Le Figaro, Stanislas Guérini, patron du parti présidentiel : « La réalité, c’est qu’il n’a pas la trempe d’Emmanuel Macron. Il épouse les humeurs du moment et son discours sonne faux. » Voilà qui ressemble fort à une riposte organisée. Pourtant, face à la montée en puissance du président des Hauts-de-France, désormais à 180 kilomètres-heure sur l’autoroute de la présidentielle, la Macronie hésite encore sur la stratégie à adopter. « Il y a une sorte de dissonance chez nous : faut-il continuer à le taper, au risque de l’installer ? » souligne un membre du bureau exécutif de LREM.
Dans la continuité des Attal, Guérini et consorts, plusieurs responsables, considérant que la meilleure défense reste l’attaque, assument la politique du bourrepif : « On ne doit pas faire les bisounours, il veut se positionner comme notre principal opposant, alors je ne vois pas pourquoi on lui ferait des cadeaux », expose la n° 2 des Marcheurs à l’Assemblée, Marie Lebec. La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, ne veut pas non plus retenir ses coups contre le discours « versatile et opportuniste de Bertrand » : « Nous sommes derrière un président qui a un bilan que l’on doit défendre absolument : quand des gens le critiquent, moi, je réponds. Xavier Bertrand manie bien plus l’outrance, le mensonge, la fake news que les autres candidats à droite. Il met le pays sous tension en utilisant l’actualité et le prisme de l’émotion. C’est du mauvais Sarko : pas de fond, que du positionnement. » Le voilà rhabillé pour cet été, durant lequel Xavier Bertrand cherchera à entretenir son élan post-régionales.
Mais justement, à force de le rhabiller si tôt, de multiplier les couches, le risque n’est-il pas d’élargir sa silhouette, de rehausser ses épaules ? « Il s’en fout, Xavier : plus ils lui tapent dessus, plus ça le valorise », est persuadé le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille, qui le connaît bien. Il ne croit pas si bien dire : les lieutenants de Bertrand, eux, n’en espéraient pas tant et se frottent les mains. Ou plutôt, tendent toutes leurs joues et en redemandent. « Ils ne peuvent pas mieux faire que ce qu’ils font en ce moment : en tapant sur Xavier comme des sourds, ils ne font rien d’autre que de l’identifier comme un candidat sérieux. Qu’ils continuent, qu’ils ne se gênent pas ! » exulte le député LR Julien Dive, relais de Xavier Bertrand au Palais Bourbon. Voilà une conséquence négative que certains responsables macronistes, rompus à l’exercice de la joute politique, redoutent. « Ça ne sert à rien de le cogner matin, midi et soir puisqu’il déclare sa candidature tous les quatre matins, explique un membre du gouvernement à la longue expérience politique. En revanche, il ne faut pas le rater ! Bertrand, c’est le champion de la duplicité : chaque fois qu’on a la possibilité de montrer qu’il dit le contraire de ce qu’il a fait, il faut le souligner. Mais mieux vaut une bonne frappe chirurgicale bien sentie que de sortir la sulfateuse toutes les deux heures ! »
Au fond, la divergence des tactiques reflète assez bien la divergence des points de vue qui existent dans la majorité sur Xavier Bertrand, son envergure, ses chances, et donc, la menace potentielle qu’il représente pour le chef de l’Etat. La Macronie semble atteinte d’une forme de schizophrénie. Il y a ceux, nombreux – et, oserait-on, un brin présomptueux – qui ne croient pas une seule seconde en ses chances d’accéder au second tour. D’une part, en raison du contexte politique : « Xavier a beau être ambitieux, travailleur, et déterminé, je ne crois pas en la capacité d’un candidat LR à franchir le mur du son », glisse un conseiller ministériel venu de la droite ; quand un cadre LREM, familier des ambiances fratricides chez LR, n’imagine pas tous les loups Républicains se coucher devant lui. D’autre part, certains considèrent, tout bonnement, que Xavier Bertrand est un second couteau. Une sorte d’ectoplasme, qui n’a pas la carrure suffisante pour faire de l’ombre au
rayonnant locataire de l’Elysée. A titre d’exemple, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand juge l’ex-ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy « mauvais », « pas à la hauteur », loin d’avoir la stature d’un présidentiable, et encore moins d’un président. Gare, tout de même, au retour de la fameuse hubris macronienne… « Il ne faut pas le traiter par le mépris, on est payé pour savoir qu’il ne faut pas sous-estimer nos adversaires, comme Emmanuel Macron l’a été en 20162017 », souffle un conseiller élyséen.
Pour une partie des Marcheurs, il y a de quoi se faire du mauvais sang. Dans deux des trois sondages présidentiels publiés depuis sa victoire haut la main, Xavier Bertrand est crédité de 18 % des intentions de vote, quand Emmanuel Macron est à 24 %. Un effet de vases communicants pourrait rapidement retourner la situation. Cela inquiète, en tout cas, un compagnon de longue date du président : « Notre électorat est composé d’un tiers d’électeurs de droite, il faut veiller sur eux comme sur de l’or ! Si Bertrand prend quatre points à Macron, ils se retrouvent tous les deux plus ou moins à égalité… Et là, on serait en grand danger ! » Si, comme le dit Stanislas Guérini, « les gens qui votent Bertrand peuvent tout à fait voter Macron », tout l’enjeu pour les soldats du président est d’empêcher que les gens qui votent Macron se rendent compte qu’ils peuvent tout à fait voter Bertrand… La sulfateuse n’est pas près d’être rangée cet été.