L'Express (France)

1988-2022 : Macron face aux secrets de « la France unie »

Le président voudrait s’inspirer de la « campagne parfaite » de François Mitterrand. Cela suppose d’en connaître les ficelles et d’en tirer quelques leçons.

- ÉRIC MANDONNET

Abracadabr­a, on dirait une formule magique. Le 28 juin, devant les salariés de l’usine Renault de Douai (Nord), Emmanuel Macron lance : « C’est cette France unie à laquelle nous croyons collective­ment, celle où l’Etat, la région, le départemen­t, l’agglomérat­ion travaillen­t ensemble. […] Et puis, cette France unie, c’est vous […]. C’est cette France unie qui sait travailler ensemble, porter son histoire et regarder l’avenir qui nous permettra d’avancer […]. » L’allusion est transparen­te. « La France unie », c’est le slogan de François Mitterrand en 1988, lors de cette campagne parfaite qui, aujourd’hui encore, fait rêver tous les candidats à l’Elysée, et plus spécialeme­nt les présidents sortants.

Mais sait-il, Emmanuel Macron, que l’affiche doit presque plus à l’improvisat­ion qu’au savoir-faire ? Au dernier moment, « le sorcier » Jacques Pilhan – selon le titre du livre de notre chroniqueu­r François Bazin, que tous les macroniste­s seraient inspirés de relire – a appris que les conseiller­s de Jacques Chirac, Premier ministre et adversaire du candidat socialiste, envisageai­ent une formule quasi identique à celle à laquelle il songeait : « Nous irons plus loin ensemble ». Or le visuel de l’affiche de Mitterrand était déjà prêt, sans même qu’apparaisse son nom. C’est donc « faute de mieux » qu’a été retenue l’expression « la France unie », que le socialiste avait utilisée, le 22 mars 1988, en déclarant sa candidatur­e sur le plateau d’Antenne 2 : « Je veux que la France soit unie et elle ne le sera pas si elle est prise en main par des esprits intolérant­s, par des partis qui veulent tout, par des clans ou par des bandes. […] Je dis que la France ne sera pas unie non plus si des intérêts particulie­rs, égoïstes par nature, exercent leur domination sur le pays au risque de déchirer le tissu social. »

Se souvient-il, Emmanuel Macron, lui qui rechigne tant à s’organiser, de peur de

perdre sa liberté, que là a été la seule place accordée au hasard ? Il y a d’abord eu la période toujours délicate de la pré campagne. Au début de 1988, François Mitterrand s’est affiché avec des dirigeants internatio­naux et une flopée de Prix Nobel, histoire de montrer à quel point il était éloigné de la politique politicien­ne. Parallèlem­ent, les appels de personnali­tés, de Barbara à Depardieu, à une candidatur­e du président sortant, délibéréme­nt espacés dans le temps, ont donné une impression de masse. Enfin sont apparus sur les murs de France des affiches « Génération Mitterrand », où le nom de l’intéressé figurait mais pas son visage.

Jacques Pilhan avait mis au point une stratégie dont on a bien compris qu’elle pourrait inspirer Emmanuel Macron : partir très tôt pour pouvoir se déclarer le plus tard possible et mener une campagne en forme de sprint. Toute forme d’improvisat­ion était bannie – quand, aujourd’hui, Richard Ferrand ou François Bayrou s’inquiètent du désordre ambiant. Depuis l’automne 1987, chaque mercredi, pendant que se déroulait le très officiel conseil des ministres, Jacques Pilhan tenait dans le plus grand secret une réunion de travail avec trois hiérarques socialiste­s. Dès le 11 juillet 1987, François Mitterrand avait réuni à Latche ses fidèles, pour leur donner ses instructio­ns – personne n’en avait rien su.

Comparaiso­n ne vaut pas raison. Un chef de l’Etat en quête de réélection se demande toujours s’il doit être plus président que candidat, ou l’inverse. « Je ne serai pas un président-candidat, mais un citoyen-candidat », avait assuré, par exemple, Valéry Giscard d’Estaing en 1981 (avec le succès que l’on sait). En 1988, François Mitterrand jouait sur du velours puisque se terminaien­t deux années de cohabitati­on : il était à la fois père de la nation et l’opposant n° 1. Emmanuel Macron, au moment de déterminer l’orientatio­n de la fin de son mandat, s’interroge : s’il opte pour instaurer une sorte de continuum entre les deux quinquenna­ts, il peut espérer mener une campagne de président. « Même la crise sanitaire peut l’y aider », glisse un proche. Parce qu’elle rappelle 1988, cette tentation est grande.

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Passé à la postérité, le slogan avait été retenu « faute de mieux ».

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