Les sondages, arbitres des élégances
Décriées pour leur manque de fiabilité, les enquêtes d’opinion auront un poids majeur dans le processus de départage des candidats à l’élection présidentielle.
Les sondages sont à la politique ce que Loft Story fut à la télévision : il est de bon ton de les critiquer, mais tout le monde les regarde. La classe politique a instruit le procès de ces thermomètres à l’issue des régionales. Leur faute : ne pas avoir anticipé l’abstention historique et ses conséquences sur les rapports de force électoraux. « Le scepticisme envers les sondages ne peut pas se limiter au soir des résultats », prévient le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi. Un cri dans le désert. Car les enquêtes d’opinion ont acquis un rôle majeur lors de la période préprésidentielle. Elles pourraient faire office de méthode pour départager les candidats et tenir leur revanche sur les primaires, expérience traumatisante pour Les Républicains et les socialistes. « A mesure que les partis se sont affaiblis, il a fallu inventer de nouvelles méthodes de sélection pour relégitimer les candidats, analyse Chloé Morin, politologue à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueuse à L’Express.
Les primaires n’ont pas été concluantes, donc on passe aux sondages. »
A droite, Xavier Bertrand veut être le roi des chiffres pour imposer sa candidature. LR, son ex-parti, a commandé à l’Ifop deux enquêtes pour l’aider à identifier un éventuel « candidat naturel ». A défaut de perle rare, le parti organisera une compétition interne. « [Le président des Républicains] Christian Jacob veut donner une rigueur scientifique à une sélection naturelle. C’est un semblant de primaire », analyse un hiérarque LR. Cet ersatz offrirait les avantages de la primaire sans ses inconvénients. L’étude de l’opinion doit asseoir la légitimité du prétendant. Le sondage, ou l’élection sans vote.
L’absence de compétition au suffrage universel doit enfin éviter les guerres fratricides ou la victoire d’un candidat éloigné du centre de gravité de l’électorat. Le succès de François Fillon en 2016 a vacciné de nombreux élus. Mais pas tous. Les prétendants en retard dans les sondages poussent en interne pour la tenue d’un vote, leur seule planche de salut.
La gauche, elle, n’est pas en reste. Certains proches d’Anne Hidalgo, rétive à la primaire, laissaient entendre il y a peu que la maire de Paris ne se lancerait dans la course à l’Elysée que si elle dépassait, en octobre, la barre des 12 % d’intentions de vote. Un seuil symbolique pour savoir si « elle a la capacité d’imprimer un truc au-delà du périphérique », glisse un intime. L’intéressée mise aussi sur les soutiens. En témoigne la tribune signée par 200 élus de gauche l’appelant à se présenter.
Des candidatures concurrentes PS et EELV seraient vouées à l’échec. Socialistes et écologistes réclament de concert le leadership du rassemblement pour 2022 ? Les sondages pourraient être des juges de paix. « Ils sont un outil de départage parmi d’autres, tempère le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner. Rien ne remplace la dynamique d’un candidat, sa capacité à rassembler et la réalité du rapport de forces, c’est-à-dire le nombre de divisions. »
Chez les Insoumis, on fustige l’opacité des instituts de sondage. Ils n’hésitent pourtant pas à s’appuyer sur des enquêtes pour défendre leur stratégie solitaire. « On est à 12-13 %, loin devant les autres candidatures de gauche. Et PS + EELV, ça ne fait pas 12-13… Le tableau n’est pas si bon que ça pour eux », confiait récemment le député LFI Ugo Bernalicis. Les cadres du parti aiment rappeler que les intentions de vote en faveur de Mélenchon dépassent celles enregistrées il y a cinq ans. L’analyse comparée des sondages, une méthode Coué.
Les enquêtes de second tour entrent également dans l’équation. Xavier Bertrand veut montrer qu’il est un meilleur rempart au RN qu’Emmanuel Macron. Le sondage devient ici le levier d’un vote utile. « Quand nos retraités partis chez Macron et qui ont peur de Le Pen verront que notre candidat est mieux placé pour la battre, ils reviendront à la maison », juge un député LR.
Mais cet appétit n’est pas sans risques : les sondages ne sont qu’une photographie instantanée de l’opinion. Un cliché d’autant plus fragile que les Français se projettent de plus en plus tard dans la présidentielle. En outre, « il y a les traits d’image, l’offre programmatique ou le pronostic des Français », résume le directeur général de l’Ifop Frédéric Dabi. Surestimer leur rôle revient à jeter une pièce en l’air.