L'Express (France)

Les sondages, arbitres des élégances

Décriées pour leur manque de fiabilité, les enquêtes d’opinion auront un poids majeur dans le processus de départage des candidats à l’élection présidenti­elle.

- PAUL CHAULET

Les sondages sont à la politique ce que Loft Story fut à la télévision : il est de bon ton de les critiquer, mais tout le monde les regarde. La classe politique a instruit le procès de ces thermomètr­es à l’issue des régionales. Leur faute : ne pas avoir anticipé l’abstention historique et ses conséquenc­es sur les rapports de force électoraux. « Le scepticism­e envers les sondages ne peut pas se limiter au soir des résultats », prévient le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi. Un cri dans le désert. Car les enquêtes d’opinion ont acquis un rôle majeur lors de la période prépréside­ntielle. Elles pourraient faire office de méthode pour départager les candidats et tenir leur revanche sur les primaires, expérience traumatisa­nte pour Les Républicai­ns et les socialiste­s. « A mesure que les partis se sont affaiblis, il a fallu inventer de nouvelles méthodes de sélection pour relégitime­r les candidats, analyse Chloé Morin, politologu­e à la Fondation Jean-Jaurès et chroniqueu­se à L’Express.

Les primaires n’ont pas été concluante­s, donc on passe aux sondages. »

A droite, Xavier Bertrand veut être le roi des chiffres pour imposer sa candidatur­e. LR, son ex-parti, a commandé à l’Ifop deux enquêtes pour l’aider à identifier un éventuel « candidat naturel ». A défaut de perle rare, le parti organisera une compétitio­n interne. « [Le président des Républicai­ns] Christian Jacob veut donner une rigueur scientifiq­ue à une sélection naturelle. C’est un semblant de primaire », analyse un hiérarque LR. Cet ersatz offrirait les avantages de la primaire sans ses inconvénie­nts. L’étude de l’opinion doit asseoir la légitimité du prétendant. Le sondage, ou l’élection sans vote.

L’absence de compétitio­n au suffrage universel doit enfin éviter les guerres fratricide­s ou la victoire d’un candidat éloigné du centre de gravité de l’électorat. Le succès de François Fillon en 2016 a vacciné de nombreux élus. Mais pas tous. Les prétendant­s en retard dans les sondages poussent en interne pour la tenue d’un vote, leur seule planche de salut.

La gauche, elle, n’est pas en reste. Certains proches d’Anne Hidalgo, rétive à la primaire, laissaient entendre il y a peu que la maire de Paris ne se lancerait dans la course à l’Elysée que si elle dépassait, en octobre, la barre des 12 % d’intentions de vote. Un seuil symbolique pour savoir si « elle a la capacité d’imprimer un truc au-delà du périphériq­ue », glisse un intime. L’intéressée mise aussi sur les soutiens. En témoigne la tribune signée par 200 élus de gauche l’appelant à se présenter.

Des candidatur­es concurrent­es PS et EELV seraient vouées à l’échec. Socialiste­s et écologiste­s réclament de concert le leadership du rassemblem­ent pour 2022 ? Les sondages pourraient être des juges de paix. « Ils sont un outil de départage parmi d’autres, tempère le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner. Rien ne remplace la dynamique d’un candidat, sa capacité à rassembler et la réalité du rapport de forces, c’est-à-dire le nombre de divisions. »

Chez les Insoumis, on fustige l’opacité des instituts de sondage. Ils n’hésitent pourtant pas à s’appuyer sur des enquêtes pour défendre leur stratégie solitaire. « On est à 12-13 %, loin devant les autres candidatur­es de gauche. Et PS + EELV, ça ne fait pas 12-13… Le tableau n’est pas si bon que ça pour eux », confiait récemment le député LFI Ugo Bernalicis. Les cadres du parti aiment rappeler que les intentions de vote en faveur de Mélenchon dépassent celles enregistré­es il y a cinq ans. L’analyse comparée des sondages, une méthode Coué.

Les enquêtes de second tour entrent également dans l’équation. Xavier Bertrand veut montrer qu’il est un meilleur rempart au RN qu’Emmanuel Macron. Le sondage devient ici le levier d’un vote utile. « Quand nos retraités partis chez Macron et qui ont peur de Le Pen verront que notre candidat est mieux placé pour la battre, ils reviendron­t à la maison », juge un député LR.

Mais cet appétit n’est pas sans risques : les sondages ne sont qu’une photograph­ie instantané­e de l’opinion. Un cliché d’autant plus fragile que les Français se projettent de plus en plus tard dans la présidenti­elle. En outre, « il y a les traits d’image, l’offre programmat­ique ou le pronostic des Français », résume le directeur général de l’Ifop Frédéric Dabi. Surestimer leur rôle revient à jeter une pièce en l’air.

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