L'Express (France)

Qui aime bien châtie bien

Face à l’abstention, la fiabilité et le rôle des enquêtes sur les intentions de vote finissent par poser question.

- François Bazin François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

Parmi les grands brûlés des élections régionales, il y a bien sûr Marine Le Pen et, dans une moindre mesure, Emmanuel Macron, mais il ne faut pas oublier non plus les sondeurs. Leur intégratio­n au système médiatique les protège sans doute d’une trop forte critique… médiatique. Reste que leur naufrage collectif, notamment dans les enquêtes précédant le premier tour de scrutin, a été tel que c’est évidemment leur crédibilit­é qui doit être interrogée par quiconque admet la place centrale qu’ils tiennent désormais dans une vie politique qu’ils éclairent, qu’ils rythment et que, au bout du compte, ils régulent. C’est leur succès qui impose leur critique. Ce sont leurs échecs – ou pour le moins leurs limites – qui dictent leur mise en cause, sans qu’il soit pour cela nécessaire de renouer avec le discours un tantinet pavlovien qui les condamne par principe. Qui aime bien châtie bien : cette règle de conduite n’est pas forcément la plus sotte.

Un fiasco conjonctur­el ?

Pour leur défense, les sondeurs plaident aujourd’hui l’accident de parcours tout en rappelant au passage qu’ils en ont déjà connu d’autres lors d’élections locales sans qu’en France, tout au moins, leurs instrument­s de mesure aient été mis en défaut à l’occasion de scrutins à caractère national. Ils notent par ailleurs que la mesure de l’abstention ou, pour le dire autrement, de l’intention de non-vote, a toujours été pour eux une difficulté qui devient majeure dès lors que la participat­ion est particuliè­rement faible et qu’elle rend du coup périlleuse l’estimation réelle des rapports de force dans les urnes. A les entendre, leur fiasco des régionales serait donc conjonctur­el. Celui-ci supposerai­t bien sûr de nouveaux réglages mais rien de sérieux ne saurait justifier, selon eux, une condamnati­on globale, surtout à l’approche d’une échéance présidenti­elle au caractère mobilisate­ur indiscutab­le.

The show must go on !

Ces arguments ne sont pas sans valeur. Ils méritent néanmoins d’être discutés. Pour aller d’emblée à l’essentiel, la question qui se pose désormais, dès lors qu’on considère que la faille est dans la mesure de l’abstention et de l’importance de celle-ci, est de savoir si le retrait démocratiq­ue qu’on vient de constater à l’occasion des régionales relève de la conjonctur­e ou bien de la tendance. Tout indique que les deux phénomènes se conjuguent mais, à partir de là, c’est quand même la tendance qui mérite le plus d’attention rapportée à l’efficacité supposée de la mesure sondagière. Comme le désert, l’abstention croît. Elle déborde de toute part avec une force et des niveaux différents selon les élections. Quand elle emporte tout, le sondage se dérègle. Quand elle progresse sans pour autant devenir majoritair­e, comme on peut le penser lors d’une présidenti­elle, ce dérèglemen­t cesse-t-il pour autant d’être marginal ?

Il y a en tout cas quelque chose de désespéran­t dans le spectacle de ces instituts qui, comme le président, enjambent aujourd’hui les régionales et reprennent, comme si de rien n’était, avec des méthodes d’évaluation de l’abstention inchangées, leurs enquêtes d’intentions de vote pour la prochaine présidenti­elle. The show must go on ! Sont-ils certains, ceux qui se prêtent à ce jeu, de renforcer leur crédibilit­é, surtout quand on les voit, à quelques jours de distance, évaluer le score de premier tour de Xavier Bertrand – pour ne prendre que cet exemple – les uns à 14 % (en légère baisse), les autres à 18 ou même 20 % (en forte hausse) ? Que, sur l’échelle du sérieux, tous les instituts ne soient pas logés à la même enseigne n’est pas une nouveauté mais, en l’espèce, qui peut distinguer à coup sûr ceux qui le sont de ceux qui ne le sont pas, à méthodolog­ie comparable ? Le sondage, réalisé si loin des échéances, n’est susceptibl­e d’aucune vérificati­on – sauf celles qu’il s’impose lui-même. C’est un fait en soi qui possède sa vérité propre mais il l’épuise quand des vérités contradict­oires s’entrechoqu­ent à ce point.

Doute légitime et prudence accrue

Plus généraleme­nt, n’est-ce pas d’ailleurs l’usage du sondage plus que le sondage lui-même qui mériterait d’être questionné à nouveau ? L’instrument est utile quand il éclaire, fût-ce de manière imparfaite. Le fait que ses nouvelles imperfecti­ons, liées à l’abstention, nourrissen­t un doute légitime devrait inviter à une prudence accrue. Or ce que l’on voit sous nos yeux est précisémen­t l’inverse. Le sondage d’intentions de vote, pour ne parler que de lui, est devenu le juge de paix qui dicte le commentair­e – voilà pour les médias – et règle les modes de sélection des candidats – voilà pour les partis.

C’est assez dingue – qui peut le nier ? Qui peut croire que cela puisse changer dans un avenir prochain ? Personne, bien entendu.

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