L'Express (France)

Le blues des géants de l’eau minérale

La pandémie a fait chuter les ventes dans les restaurant­s et cafés, et la fronde antiplasti­que assombrit les perspectiv­es des industriel­s. Ils tentent désormais de rendre leurs emballages moins nocifs pour l’environnem­ent.

- THOMAS LESTAVEL

Avec la fermeture des bars et des restaurant­s pendant les confinemen­ts, les ventes d’Evian, de San Pellegrino, de Volvic… ont sombré. Après un exercice 2020 déjà difficile, le groupe Danone, plombé par son pôle eaux, qui a plongé de 15 %, a vu son chiffre d’affaires fléchir encore de 9 % sur les trois premiers mois de l’année. Explicatio­n : près de la moitié de ses bouteilles sont habituelle­ment vendues en hôtellerie-restaurati­on.

Outre l’effet Covid-19, un obstacle plus durable se dessine. Les préoccupat­ions environnem­entales suscitent un « plastic bashing » croissant. D’après une enquête publiée en janvier par l’Observatoi­re société & consommati­on et le spécialist­e du recyclage Citeo, 30 % des Français ont réduit ou supprimé leur consommati­on d’eau plate en bouteille ces trois dernières années. Les ventes en grandes surfaces (un marché annuel d’environ 2,5 milliards d’euros) reculent légèrement depuis 2019 alors que les acheteurs potentiels n’ont jamais passé autant de temps chez eux.

Il faut dire que ce mode de fabricatio­n affecte notre planète, déjà encombrée de 7 milliards de tonnes de déchets plastiques. Il faut 2 kilogramme­s de pétrole pour fabriquer 1 kilogramme de PET, le plastique transparen­t qui forme la bouteille. Celle-ci parcourt des centaines des kilomètres de la source au domicile du particulie­r, en passant par l’usine de traitement et le supermarch­é. Selon une étude menée en 2015 par la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux, sa « charge écologique » pèserait au total 450 fois celle de l’eau du robinet.

Les députés français se sont saisis du problème. Votée l’an dernier, la loi contre le gaspillage impose que 100 % du plastique soit recyclé dès 2025. Par ailleurs, le nombre de bouteilles à usage unique doit diminuer de moitié d’ici à 2030, et elles seront tout simplement interdites en 2040. Ces objectifs obligent les industriel­s à se réinventer. « Il y a encore trois ans, les marques négligeaie­nt les problémati­ques liées au plastique. Elles ont brusquemen­t pris la mesure de l’enjeu et cherchent des solutions. Elles jouent là leur réputation », analyse Anne-Catherine HussonTrao­re, directrice générale du bureau d’études Novethic.

Nestlé Waters a pris de l’avance sur son rival Danone. Depuis la fin de 2019, sa Vittel de 75 centilitre­s est entièremen­t composée de PET recyclé (r-PET). Une avancée qui concerne cette année d’autres marques de bouteilles de moins de 1 litre comme Hépar et Contrex. Le géant suisse veut atteindre la neutralité carbone sur certaines d’entre elles dès 2022, et pour toutes en 2025. Danone, de son côté, a annoncé un plan d’investisse­ments de 2 milliards d’euros pour développer le plastique recyclé et les matériaux alternatif­s. « L’an dernier, nous avons fait basculer la moitié de notre portefeuil­le de bouteilles en PET recyclé, et nous nous engageons à atteindre 100 % en 2025 – ce qui veut dire qu’il n’y aura plus aucun plastique vierge dans le circuit », développe Antoine Portmann, DG France de Danone Eaux. Ces politiques ont un coût : le PET recyclé s’achète au moins 30 % plus cher en raison de la forte demande.

Les marques tentent d’innover pour réduire leur dépendance au plastique, qui reste « l’emballage le plus pratique et facile à transporte­r, tout en protégeant parfaiteme­nt l’eau minérale », constate Antoine Portmann. Danone se targue d’avoir diminué de 17 % le volume de PET nécessaire pour fabriquer une bouteille, en jouant sur la taille du bouchon et du col. Le groupe tricolore multiplie les initiative­s, comme la fontaine Evian (re)new : ses recharges sont des bulles rétractabl­es de 5 litres, livrées à domicile, et elles nécessiten­t 60 % de plastique en moins, à quantité d’eau équivalent­e. Chez Nestlé Waters, Vittel expériment­e un contenant hybride : sa poche intérieure en plastique est recouverte d’un emballage en carton. Un design peu attrayant, mais qui diminue de moitié la quantité de PET nécessaire. Reste qu’il faudra du temps avant de trouver des substituts crédibles. En attendant, il va falloir intensifie­r les efforts dans le recyclage. « En France, seulement 6 bouteilles sur 10 sont jetées dans la bonne poubelle. Les autres finissent dans des incinérate­urs ou dans des décharges », souligne Françoise Bresson, directrice RSE et communicat­ion chez Nestlé Waters. Nos voisins scandinave­s et allemands ont démontré la vertu de la consigne. Mais la France tarde à prendre cette voie.

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