L'Express (France)

Capitalism­e brutal ? Capitalism­e normal...

- PAR PASCAL POGAM

JLa frénésie d’opérations qui agite le monde français des affaires tient autant au contexte qu’à sa mutation profonde.

amais le petit monde français des affaires n’avait connu autant de turbulence­s. Non qu’il fût par le passé un modèle de douceur et de sérénité, mais, du feuilleton Lagardère à la saga Suez-Veolia, en passant par les épisodes Danone, Unibail, Carrefour ou TF1-M6, les opérations qui s’enchaînent depuis un an renvoient l’image d’un écosystème en ébullition. Une frénésie qui a déjà provoqué la chute de quatre patrons, en comptant celui d’Hachette en mars dernier. Plusieurs facteurs expliquent cette poussée de fièvre et la concomitan­ce de ces deals. La sortie de crise, le rebond qui l’accompagne et les montagnes d’argent disponible favorisent évidemment les initiative­s de ce type. Mais il y a aussi, tous secteurs confondus, la nécessité nouvelle de bouger, de réinventer son business model face aux défis des transforma­tions numériques et énergétiqu­es. Ce sentiment d’urgence pousse indiscutab­lement les dirigeants à accélérer, en prenant moins de gants qu’auparavant.

Le double paradoxe de la période est que cette succession d’affaires presque exclusivem­ent franco-françaises témoigne en réalité de l’internatio­nalisation croissante de nos entreprise­s, et que la brutalité observée durant cette séquence est peutêtre le signe d’une normalisat­ion du capitalism­e tricolore. La preuve, en tout cas, que, désormais, la vie des affaires est moins dictée par l’entre-soi ou les contingenc­es politiques que par les exigences des marchés. Deux évolutions de fond y concourent : le fait, d’abord, que les banques et assurances, mais aussi l’Etat, soient moins présents au capital des grands groupes français. Depuis une dizaine d’années, ce sont pour l’essentiel des actionnair­es anglo-saxons qui ont pris leur place, et ils ont apporté dans leurs bagages une culture très largement inspirée des pratiques américaine­s – la judiciaris­ation des affaires en est une. Le second paramètre est l’apparition de nouveaux acteurs – ONG, activistes –, qui imposent dans le débat des enjeux climatique­s ou de gouvernanc­e. Une pression supplément­aire au sommet des entreprise­s, qui continuera immanquabl­ement de provoquer des secousses. Faut-il s’en inquiéter ? Pas forcément, si quelques « cordes de rappel » permettent de civiliser les moeurs. Nul doute qu’un Etat moins bavard, limitant ses interventi­ons au strict respect de l’intérêt général, contribuer­ait par exemple à apaiser les esprits. Et, sur le terrain juridique, la création d’instances et d’autorités plus adaptées aux enjeux économique­s nous éviterait de revivre les mille et une procédures qui ont envenimé la bataille entre Veolia et Suez. Mieux vaut s’en préoccuper rapidement, car le calme apparent de ce début d’été ne trompe personne : de nouvelles offensives se préparent.

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