Capitalisme brutal ? Capitalisme normal...
JLa frénésie d’opérations qui agite le monde français des affaires tient autant au contexte qu’à sa mutation profonde.
amais le petit monde français des affaires n’avait connu autant de turbulences. Non qu’il fût par le passé un modèle de douceur et de sérénité, mais, du feuilleton Lagardère à la saga Suez-Veolia, en passant par les épisodes Danone, Unibail, Carrefour ou TF1-M6, les opérations qui s’enchaînent depuis un an renvoient l’image d’un écosystème en ébullition. Une frénésie qui a déjà provoqué la chute de quatre patrons, en comptant celui d’Hachette en mars dernier. Plusieurs facteurs expliquent cette poussée de fièvre et la concomitance de ces deals. La sortie de crise, le rebond qui l’accompagne et les montagnes d’argent disponible favorisent évidemment les initiatives de ce type. Mais il y a aussi, tous secteurs confondus, la nécessité nouvelle de bouger, de réinventer son business model face aux défis des transformations numériques et énergétiques. Ce sentiment d’urgence pousse indiscutablement les dirigeants à accélérer, en prenant moins de gants qu’auparavant.
Le double paradoxe de la période est que cette succession d’affaires presque exclusivement franco-françaises témoigne en réalité de l’internationalisation croissante de nos entreprises, et que la brutalité observée durant cette séquence est peutêtre le signe d’une normalisation du capitalisme tricolore. La preuve, en tout cas, que, désormais, la vie des affaires est moins dictée par l’entre-soi ou les contingences politiques que par les exigences des marchés. Deux évolutions de fond y concourent : le fait, d’abord, que les banques et assurances, mais aussi l’Etat, soient moins présents au capital des grands groupes français. Depuis une dizaine d’années, ce sont pour l’essentiel des actionnaires anglo-saxons qui ont pris leur place, et ils ont apporté dans leurs bagages une culture très largement inspirée des pratiques américaines – la judiciarisation des affaires en est une. Le second paramètre est l’apparition de nouveaux acteurs – ONG, activistes –, qui imposent dans le débat des enjeux climatiques ou de gouvernance. Une pression supplémentaire au sommet des entreprises, qui continuera immanquablement de provoquer des secousses. Faut-il s’en inquiéter ? Pas forcément, si quelques « cordes de rappel » permettent de civiliser les moeurs. Nul doute qu’un Etat moins bavard, limitant ses interventions au strict respect de l’intérêt général, contribuerait par exemple à apaiser les esprits. Et, sur le terrain juridique, la création d’instances et d’autorités plus adaptées aux enjeux économiques nous éviterait de revivre les mille et une procédures qui ont envenimé la bataille entre Veolia et Suez. Mieux vaut s’en préoccuper rapidement, car le calme apparent de ce début d’été ne trompe personne : de nouvelles offensives se préparent.