CAC 40 : tous les coups sont permis
Raids en série, actions en justice, rumeurs et trahisons... Au sein du capitalisme français, le « monde d’après » ressemble furieusement à un champ de bataille.
Raids en série, actions en justice, rumeurs et trahisons... Au sein du capitalisme français, le « monde d’après » ressemble furieusement à un champ de bataille.
Atravers l’écran, distanciation sociale oblige, il a regardé dans les yeux chacun des administrateurs. Puis, tour à tour, en respectant scrupuleusement l’ordre alphabétique, il leur a demandé ce qu’ils s’apprêtaient à voter : la confiance ou le désaveu ? Le pouce levé, ou baissé ? Ce dimanche 14 mars, c’est ainsi que le PDG de Danone, Emmanuel Faber, a choisi de mettre en scène le conseil appelé à statuer sur son sort. Ou, comme le formule un témoin de cette séquence surréaliste, « d’organiser son chemin de croix ». Le résultat sera sans appel : à l’issue de ce tour de table virtuel, ceux-là mêmes qui lui avaient apporté, deux semaines plus tôt, leur « soutien unanime » décident de le démettre de ses fonctions, avec effet immédiat. L’épilogue brutal d’un feuilleton qui doit moins aux critiques formulées en début d’année par des fonds activistes qu’aux dissensions profondes apparues au sommet de l’entreprise. Parce qu’elles cadraient de plus en plus mal avec son caractère autoritaire et, surtout, parce qu’elles tardaient à produire les résultats escomptés, les envolées messianiques d’un dirigeant qui s’était fait le chantre d’une économie « responsable » ont fini par creuser un fossé irrémédiable avec son board. Classique et prévisible, dans un monde des affaires où la création de valeur demeure le principal juge de paix. Ce qui l’est moins, c’est la violence soudaine provoquée par cet épisode. Les attaques frontales portées dans la presse, les courriers au vitriol émanant d’anciens managers de la maison ; le double jeu et les confidences assassines distillées par les différents protagonistes. Loin, très loin du capitalisme à visage humain prôné depuis des années par le géant du lait et de l’eau minérale. « Je voulais massacrer Faber, raconte après coup l’un de ses adversaires les plus virulents. Un peu comme un vétérinaire serait obligé de piquer un orang-outang devenu dingue avant qu’il s’en prenne à ses congénères. »
Chapitre 1 « On n’a jamais vu ça »
Un vent de folie souffle sur le capitalisme français. Comme si, après la mise sous cloche de l’économie, la fin des confinements et les monceaux d’argent disponible avaient soudainement débridé les instincts, libéré les énergies. Comment ne pas faire le lien entre ce contexte très particulier et la frénésie qui s’est emparée ces derniers mois du Tout-Paris des affaires ? Car le débarquement du PDG de Danone n’est qu’une poussée de fièvre parmi beaucoup d’autres : bras de fer entre LVMH et Tiffany, nouveau tour de table chez Lagardère, bataille sans merci entre Suez et Veolia, attaque éclair contre le management d’Unibail, rapprochement avorté entre Carrefour et le canadien CoucheTard, fusion espérée entre TF1 et M6, règlements de comptes en série du côté du groupe Scor, le leader français de la réassurance…
« Autant d’opérations en un an, on n’avait jamais vu ça », reconnaît un avocat impliqué dans plusieurs de ces dossiers, qui s’étonne à la fois des « jeux d’alliance inédits » et des méthodes employées par les uns et les autres. Pour lui, il est clair que « quelques digues ont sauté » et que, désormais, tous les coups sont permis dans l’establishment. Ou presque.
Il faut dire que le casting est de premier ordre. Prenez toutes les affaires mentionnées, mélangez, et vous obtiendrez la liste de presque tous les « barons » du capitalisme français : Bernard Arnault (LVMH), Vincent Bolloré (Vivendi), Antoine Frérot (Veolia), Jean-Pierre Clamadieu (Engie), Philippe Varin (Suez), Gérard Mestrallet (ex-Engie), Anne Lauvergeon (Suez), Xavier Niel (Iliad-Unibail), Denis Kessler (Scor), Alexandre Bompard (Carrefour), Franck Riboud (Danone), Olivier Roussat