« Il n’y a plus de capitaine à la barre »
(Bouygues-TF1), Nicolas de Tavernost (M6). Très peu de femmes, cela n’aura échappé à personne, et pas mal de testostérone, ce qui explique en partie la férocité de ce monde de carnassiers.
Ajoutez à cela tout ce que le microcosme parisien compte de banquiers d’affaires, d’avocats, de conseillers de l’ombre, de communicants, d’agences d’intelligence économique et d’officines plus ou moins sulfureuses, et vous comprendrez que ce cocktail soit à ce point explosif.
Soulever le couvercle de cette marmite, c’est découvrir, parfois, des pratiques que l’on pensait réservées aux films de Scorsese ou de Coppola. Des filatures, des écoutes, des poubelles fouillées, des lettres anonymes aux menaces plus ou moins voilées, des administrateurs « travaillés » ou intimidés pour qu’ils votent dans le bon sens. Dans le genre, le feuilleton Suez-Veolia a été l’un des plus âpres, les deux camps s’accusant mutellement des pires horreurs. Ce qui est sûr, c’est que, durant la bataille, les uns et les autres se sont efforcés d’identifier les « maillons faibles » susceptibles de devenir des taupes ou des soutiens inattendus chez l’adversaire. Ils ont aussi pris toutes les précautions, privilégiant les rencontres physiques et s’interdisant d’échanger des informations cruciales par écrit. « Je suis absolument certain qu’on a espionné mes mails et que l’on m’a volé des documents », assure l’un des belligérants. Impossible à vérifier, évidemment… Dans le camp d’en face, il faudra se contenter de cette réponse ambiguë : « Nous n’avons jamais eu d’officines en action, seulement des officines en radar… »
En matière de coups bas, l’affrontement farouche entre les deux rivaux historiques du marché de l’eau et des déchets a également connu son lot de rumeurs malsaines. Jamais très loin de l’homophobie ou de la misogynie ordinaires. Comme ces prétendues parties fines organisées par les PDG de Veolia et d’Engie sur l’île de Mykonos, ou ces on-dit récurrents sur les relations entre telle ou telle administratrice de Suez et le directeur général du groupe, Bertrand Camus. Autant de flèches empoisonnées qui ont contribué, pendant huit mois, à créer ce climat irrespirable autour des deux entreprises. Et font dire à certains que cette empoignade a été la plus violente de tous les temps.
De tous les temps, vraiment ? Maurice Lévy n’est pas de cet avis. Le président de Publicis, qui en a vu d’autres, nous rafraîchit la mémoire en évoquant des batailles boursières épiques qui avaient mobilisé toute la place : en 1968, l’OPA ratée de BSN sur Saint-Gobain, par exemple, ou, au début des années 1990, la guerre que se sont livrée Nestlé et la famille Agnelli pour le contrôle de Perrier. « Nous avons vécu des combats d’une brutalité inouïe, se souvient le publicitaire. La ville était à feu et à sang. » Plus près de nous, la fusion entre Total et Elf,les grandes manoeuvres bancaires entre BNP, Paribas et la Société générale, ou dans la pharmacie, avec Sanofi et Aventis, ont, elles aussi, fait tanguer l’écosystème tout entier. Sans oublier les face-à-face mythiques : le raid boursier tenté par Vincent Bolloré sur le groupe Bouygues ; Bernard Arnault et François Pinault se disputant Gucci… Oui, par essence, le monde des affaires est brutal, l’a toujours été. Mais une chose a réellement changé : lorsque les esprits s’échauffent et que la situation dégénère, plus personne ne semble en mesure de faire redescendre la température…
Chapitre 2 « Il n’y a plus de capitaine à la barre »
Il existe dans le capitalisme français une légende bien vivace. Celle d’une époque dorée où les conflits se réglaient dans des