L'Express (France)

Chine-Russie, une amitié fragile, par Bruno Tertrais

Si cette entente se fonde sur une convergenc­e d’intérêts, de nombreux paramètres peuvent la mettre à mal.

- Bruno Tertrais Bruno Tertrais, spécialist­e de l’analyse géopolitiq­ue, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e et senior fellow à l’Institut Montaigne.

Depuis la fondation du Parti communiste chinois, il y a cent ans, et la naissance, un an plus tard, de l’Union soviétique, les relations entre Pékin et Moscou ont connu davantage de bas que de hauts, mais nombre d’observateu­rs semblent penser qu’elles sont aujourd’hui suffisamme­nt solides pour parler d’une authentiqu­e alliance.

Il est vrai que vingt ans après la signature d’un traité de bon voisinage, d’amitié et de coopératio­n

(16 juillet 2001), les deux capitales semblent s’être entendues pour que celui-ci soit automatiqu­ement prolongé lorsqu’il arrivera à expiration, en 2022. Mais si alliance il y a, elle est essentiell­ement fondée sur une convergenc­e d’intérêts. Il n’y a aucun engagement de défense entre les deux pays

– ce n’est donc pas une véritable alliance militaire, tout juste une sorte de pacte de non-agression. L’Organisati­on de coopératio­n de Shanghai, qui les réunit avec des Etats d’Asie centrale, n’a rien à voir avec l’Organisati­on du traité de l’Atlantique Nord.

A chacun sa partition

Et si elle semble tactiqueme­nt solide, elle est sans doute stratégiqu­ement fragile. La connivence sino-russe est réelle et va croissant depuis une dizaine d’années, à mesure que Pékin et Moscou se radicalise­nt politiquem­ent. Elle est d’abord anti-américaine et anti-occidental­e, comme le montrent leurs manoeuvres et leurs votes dans les organisati­ons internatio­nales, ainsi que leurs campagnes de désinforma­tion sur les réseaux sociaux qui, sans être coordonnée­s, utilisent souvent des techniques similaires – l’expression « larrons en foire » peut venir à l’esprit. Elle est aussi économique et financière : le commerce bilatéral a connu une hausse régulière depuis vingt ans et s’est accru à la suite des sanctions imposées par l’Occident ; ces dernières années, la Russie a diminué de moitié ses réserves en dollars et multiplié par cinq ses réserves en yuans. Mais cette relation est déséquilib­rée. Après s’être longtemps cachée derrière Moscou, la Chine – membre permanent du Conseil de sécurité, comme la Russie, et détentrice de l’arme nucléaire – joue désormais sa propre partition à l’ONU et dans les autres enceintes internatio­nales.

Si la Chine est depuis 2012 le premier partenaire commercial de la Russie, cette dernière est un client et un fournisseu­r mineur pour Pékin – qui, d’ailleurs, investit très peu chez son grand voisin et, au fur et à mesure du développem­ent des routes de la soie et du déploiemen­t de sa puissance sur tous les continents, a de moins en moins besoin de lui. Y compris sur le plan militaire, la Chine ayant allègremen­t copié la technologi­e russe…

Les deux pays sont fondamenta­lement rivaux et ce, de plus en plus – en Asie centrale, en Afrique, bientôt dans l’Arctique…

Et si la réussite chinoise permet à Pékin de s’ériger en « modèle », la Russie de M. Poutine, qui n’a jamais souhaité diversifie­r son économie, ne peut en dire autant : son seul atout culturel est de prétendre représente­r la culture européenne « traditionn­elle », assise sur le christiani­sme.

De fait, la crainte historique de la Russie, dont la partie orientale se vide de ses habitants, face à l’immense Chine, ne met pas longtemps à poindre dans les discussion­s sur place. Pour autant, espérer « détacher » Moscou de Pékin relève d’un certain hubris diplomatiq­ue occidental. Croit-on sérieuseme­nt que les choix stratégiqu­es russes sont prioritair­ement déterminés par les politiques européenne et américaine ? Ce serait faire peu de cas des choix propres de M. Poutine, qui veut voir dans son pays une passerelle entre l’Europe et l’Asie. Ce serait négliger l’existence d’occasions de coopératio­n souvent plus favorables du côté chinois. Et ce serait, surtout, oublier l’importance pour le Kremlin de s’affirmer en pôle de résistance à l’Occident, notamment pour des raisons de politique intérieure.

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