Nigeria Au pays de l’or noir, en finir avec le saccage écologique
Dans les cartons depuis treize ans, une loi est sur le point d’être adoptée pour réguler un secteur pétrolier anarchique... Et rassurer les investisseurs.
Vu du ciel, le delta du Niger semble atteint d’une maladie incurable. Par endroits, le fleuve est noir, couvert d’une épaisse couche de mazout. Ailleurs, de longues traînées sombres maculent les bras de mer bordés de mangroves. Voilà soixante ans, cette région du sudest du Nigeria était pourtant verte et fertile. Elle n’est plus que poison. L’air, la terre, l’eau : ici, tout est souillé. L’espérance de vie ne dépasse pas 45 ans, soit dix de moins que la moyenne nationale. Cette marée noire permanente s’explique par le piètre état des infrastructures pétrolières, mais aussi par les pillages sauvages des pipelines, perpétrés par « les militants du delta ». Las d’assister à l’exploitation des sols sans en percevoir les bénéfices, ces insurgés ont pris les armes au début des années 2000 pour prélever « leur » pétrole à la source – 15 % de la production serait ainsi volée chaque année dans ce pays de 212 millions d’habitants, premier producteur de brut du continent africain. Ce qui cause de nombreuses fuites et des ravages écologiques incalculables.
Votée le 1er juillet, une réforme du secteur des hydrocarbures pourrait changer la donne. La Petroleum Industry Bill, ou loi Pétrole, est censée assurer une plus juste redistribution de la manne aux communautés locales. Objectif : inciter les rebelles à déposer leurs kalachnikovs. Et, ainsi, réduire les risques pour les majors (Shell, Total, etc.). Promise par le président Muhammadu Buhari lors de sa campagne de 2015, mais dans les cartons depuis treize ans, la loi Pétrole « ne pouvait ni ne devait être précipitée », affirmait encore, en 2018, cet exgénéral âgé de 78 ans. Mais le chef de l’Etat a accéléré le mouvement en 2020, dans un contexte d’effondrement de la demande liée à la pandémie. L’urgence ? Retenir des investisseurs échaudés par l’insécurité et la corruption endémique.
« Pour Buhari, qui cumule les casquettes de chef d’Etat et de ministre du Pétrole, c’est une question de survie, juge Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Le pays tire 60 % de ses revenus du pétrole. Le gouvernement fédéral, comme les 36 Etats fédérés, dépend essentiellement des fonds des hydrocarbures. L’an dernier, la baisse des prix du brut a affecté les neuf Etats producteurs de pétrole, qui imposent des taxes aux exploitants. Rivers, par exemple, situé sur le delta du fleuve Niger, a revu son budget à la baisse de 40 %. » Pour se maintenir à flot,
Abuja veut donc répondre à l’appel des multinationales, qui réclament une clarification du cadre fiscal et réglementaire. « La loi Pétrole peut faire une différence », estime Henry Adigun, expert du marché des hydrocarbures. D’abord parce qu’elle s’attaque au « quartier général » de la corruption, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC). La toutepuissante compagnie nationale pétrolière pourrait être privatisée. Ces dernières années, des milliards de dollars destinés aux caisses de l’Etat se sont volatilisés. Où ? « Sur les comptes offshore d’exministres du Pétrole, qui accumulent les casseroles », glisse un connaisseur du sujet. En mai, la Commission des crimes économiques et financiers affirmait avoir saisi 153 millions de dollars et 80 propriétés lors d’enquêtes contre l’ancienne ministre du Pétrole Diezani AlisonMadueke, en fuite au RoyaumeUni !
Outre la privatisation de la NNPC, deux organes de régulation, chargés du transport et de la production, vont être créés. « Un tel dispositif, qui vise à limiter les pouvoirs du ministre du Pétrole, peut améliorer la gouvernance, à condition que ces autorités soient réellement indépendantes », reprend Benjamin Augé. Reste à savoir si cette révolution culturelle se concrétisera… et si le fonds destiné au développement des communautés locales verra bien le jour. En principe, toute société devra y contribuer, à hauteur de 2,5 % de ses dépenses d’exploitation – bien moins que les 10 % réclamés par les élus du delta du Niger. « La détresse sociale est telle qu’il en faudrait davantage pour démanteler la rébellion et le trafic de pétrole, consolidés depuis des années, analyse Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec et spécialiste des risques criminels, qui a réalisé plusieurs documentaires sur les guérilleros du delta. Il faudra au moins une génération pour que cela change. »