Russie Tempête dans une flûte de champagne
Une nouvelle loi interdit aux producteurs français d’écrire le nom du précieux nectar en cyrillique sur leurs bouteilles. Emotion dans l’Hexagone,
AMoscou, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les milieux d’affaires franco-russes. Le 2 juillet, Vladimir Poutine signe une loi sur les appellations d’origine protégées (AOP) des alcools de son pays. Elle réserve l’appellation champanskoïé aux vins élevés en Russie, les producteurs étrangers devant se contenter de la mention « vin blanc pétillant » au dos de la bouteille. Indignation immédiate dans la filière viticole française, qui dénonce une contrefaçon d’Etat et refuse de profaner son nectar en le vendant comme un simple mousseux. La maison Moët Hennessy
Lancé sous Staline, le champanskoïé se diffuse dans toute l’URSS
annonce suspendre ses exportations, avant de se raviser deux jours plus tard. L’affaire menace de tourner à l’incident diplomatique :
« La position du gouvernement est très claire : le champagne, c’est français, et ça vient de la Champagne », déclare Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, le 9 juillet.
S’il ne peut revendiquer trois siècles d’histoire, le champanskoïé n’en met pas moins son passé en avant. L’empereur Alexandre II, dont la cour adore les bulles champenoises, décide de créer son équivalent dans les terroirs viticoles du sud du pays, avec l’aide d’experts français. Après la révolution d’Octobre, les nouveaux maîtres de la Russie comprennent l’importance symbolique d’offrir aux masses
prolétariennes cette boisson bourgeoise à un prix abordable. Dans les années 1930, les domaines impériaux sont industrialisés, la production gagne en volume ce qu’elle perd en qualité. Lancé sous Staline en 1937, le champanskoïé
se diffuse dans toute l’URSS.
Jusqu’à la chute du Mur, l’affaire ne dérange pas les producteurs français, privés d’accès au marché. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, les Champenois décident de faire respecter leur propriété intellectuelle. Côté russe, on ne l’entend pas de cette oreille : le champanskoïé
s’est forgé sa propre existence avec ses propres méthodes de production – si discutables soient-elles d’un point de vue gustatif. Un accord est trouvé en 2010 : sur l’étiquette principale, les producteurs russes gardent le droit d’utiliser le terme champanskoïé
(en caractères cyrilliques), leurs concurrents français conservant l’exclusivité du mot champagne
(en alphabet latin). C’est ce compromis que la loi russe vient de pérenniser. Prenant acte de l’existence des deux appellations, elle interdit aux producteurs étrangers d’utiliser le mot champanskoïé, ce que les Français ne font de toute façon jamais, tant cette appellation est associée, pour les consommateurs russes, au bas de gamme. Le changement est donc surtout technique : l’affaire, tout au plus, d’un changement de code douanier. C’est, aussi, une « question de principe », confie David Chatillon, directeur de l’Union des maisons de Champagne, à l’AFP, précisant qu’il ne compte pas partir en guerre contre les Russes, qui achètent environ 2 millions de bouteilles par an. L’affaire risque donc de faire pschitt… ✷