Dijon-Reims, la bataille de « l’ONU du vin »
Les capitales du vin blanc et du champagne se disputent pour accueillir le siège de l’organisation internationale du secteur. Coulisses de leurs stratégies respectives.
Au téléphone, François Rebsamen prend une voix volontairement mystérieuse : « Je vous raconterai toute l’histoire quand ce sera annoncé. » Rendezvous est pris le lendemain avec le maire de Dijon, à la condition que la décision soit officialisée. Finalement, rien ne vient. Huit jours passent. « Rien n’est joué », veut croire Arnaud Robinet, maire de Reims, son principal adversaire, qui a envoyé un message à son homologue, à moitié pour le féliciter, à moitié pour prendre la température. « Je ne suis pas du tout au courant », a répondu l’ancien ministre. Partie de poker entre grands élus. Selon nos informations, et malgré l’absence d’annonce officielle, c’est la préfecture de Côte-d’Or qui devrait accueillir le nouveau siège de « l’ONU du vin », comme on surnomme l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), dont les membres peuvent jouir de l’immunité que confère son statut d’organisation intergouvernementale. La conclusion d’une bataille sourde qui raconte la rivalité de deux des capitales du secteur… et les luttes qui fracturent la Macronie. Vin blanc contre champagne, réseaux Le Drian contre réseaux Le Maire…
Le feuilleton a démarré avec la volonté de la France, au printemps, de chercher un nouveau siège pour l’OIV. Créée en 1924, elle représente aujourd’hui 48 Etats et est installée à Paris, dans le VIIIe arrondissement. Elle est chargée « d’informer, d’assister, d’harmoniser, de normaliser et d’apporter un soutien au secteur vitivinicole », nous indique-t-elle. En clair, sa mission est de veiller à la bonne entente et au bon fonctionnement de la filière dans le monde, quitte à effectuer quelques actions de lobbying quand la situation l’exige. Le ministère de l’Agriculture paie le loyer et les frais et, à ce titre, choisit le lieu. Loyer devenu trop cher, il a donc sollicité des candidatures décentralisées. C’est là que Dijon, Reims et Bordeaux se manifestent. Quel plus beau symbole pour leur ville que d’en faire la capitale mondiale de leur produit phare ? Un bis repetita goûteux de la bataille de l’Unesco, en 2015. Cette année-là, les régions Bourgogne et Champagne-Ardenne s’étaient affrontées pour inscrire leurs terres viticoles au Patrimoine mondial de l’humanité. Finalement, happy end inouï : les deux candidatures avaient triomphé. Cette fois, impossible de partager le siège. Le lobbying reprend donc.
Les élus visent le plus haut possible. « J’ai fait marcher mes réseaux, j’ai échangé avec Bruno Le Maire à plusieurs reprises, avec le ministre de l’Agriculture, avec le président », précise Arnaud Robinet, longtemps membre des Républicains, aujourd’hui porte-parole de la France audacieuse, le mouvement de Christian Estrosi. A ce titre, il reste proche des ministres de la Macronie issus de la droite. « Nous avons une position stratégique à quarante-cinq minutes de Paris. Nous pouvons faire de Reims la grande ville de l’art de vivre à la française et nous défendons le vin d’exception », détaille le maire. Une victoire serait synonyme de retombées économiques importantes. Outre la dizaine de permanents de l’OIV, chaque réunion draine plusieurs centaines de diplomates, qu’il faut loger et nourrir. Selon nos informations, le groupe LVMH de Bernard Arnault pousse
Une victoire serait synonyme de retombées économiques importantes
Reims en haut lieu. Ce n’est pas une surprise : le M de LVMH désigne Moët, pour Moët & Chandon, la grande marque de champagne d’Epernay qui produit le Ruinart ou le Dom Perignon, fusionnée en 1987 avec le groupe Louis Vuitton.
Mais François Rebsamen a, lui aussi, quelques atouts à faire valoir. Le Grand Est n’a-t-il pas accueilli le siège d’une autre institution, à savoir l’ENA à Strasbourg ? Le maire de Dijon connaît bien Jean-Yves Le Drian, qu’il côtoie depuis plus de trente ans, mais aussi Emmanuel Macron, son excollègue au gouvernement, sous François Hollande. « Nous voulons faire de Dijon une place forte, une capitale mondiale du vin, et l’hôtel Esterno se trouve à deux pas de la future cité de la gastronomie », a expliqué l’édile à France Bleu. Une autre de ses déclarations a été attentivement scrutée. Sur le site du JDD, le 21 mai, l’élu a rendu un hommage appuyé au chef de l’Etat : « Bien sûr, le président et le gouvernement gèrent la crise un peu au jour le jour. Mais qui peut dire “nous aurions fait mieux ?” » Un propos qui fait sourire ses rivaux : « Comment lutter contre un soutien dans le JDD ? » A Dijon, on rétorquera que le phénomène est bien connu : la déception fait monter la moutarde au nez.