L’énigme Bolsonaro. Posséder, c’est exister !
FRANÇOIS ROCHE
BEEF, BIBLE AND BULLETS. BRAZIL IN THE AGE OF BOLSONARO PAR RICHARD LAPPER. MANCHESTER
UNIVERSITY PRESS, 304 P., 22 €. WWWWW
Peu de chance que Jair Bolsonaro entre un jour au Panthéon des grands leaders de ce monde. Le chef de l’Etat brésilien accumule les critiques pour sa gouvernance, sa personnalité singulière et la façon dont il gère la pandémie de Covid. Le pays vient de passer le cap des 500 000 morts. Le président n’a jamais pris la mesure du désastre. Le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur la politique sanitaire et ex-ministre de la Justice, Renan Calheiros, farouche opposant au régime, vient fort opportunément d’être inculpé pour corruption. Bref, le Brésil affiche tous les signes extérieurs d’une gouvernance aussi autoritaire qu’approximative.
Mais que nous dit Bolsonaro du Brésil d’aujourd’hui ? C’est à cette question que tente de répondre Richard Lapper, qui fut pendant de longues années le journaliste chargé de l’Amérique latine au Financial Times. Pourquoi ce parlementaire de seconde zone, ancien militaire, a-t-il réussi, à la surprise générale (et peut-être à la sienne), à se hisser en 2018 au sommet du pouvoir de la première puissance sud-américaine ? Comment expliquer qu’il ait pu « vendre » aux électeurs de son pays une idéologie construite sur le nationalisme, le sexisme, le scepticisme sur les questions environnementales? Pour Richard Lapper, la raison profonde de cette ascension tient au délitement progressif de la classe politique brésilienne : corruption, népotisme et avidité ont emporté les formations traditionnelles et, en particulier le Parti des travailleurs de Lula. Bolsonaro a profité de ce champ de ruines pour s’afficher comme un homme neuf bien décidé à nettoyer les écuries d’Augias.
Le problème est qu’il a très vite montré ses limites quand il s’est agi de proposer un nouveau projet politique aux citoyens de son pays et, surtout, de mettre en place une gouvernance compétente et efficace. Il s’est appuyé sur trois forces redoutables au Brésil : le lobby de l’agrobusiness, qu’il a libéré de bon nombre de règles destinées à protéger l’environnement, comme en Amazonie ; les Eglises néopentecôtistes arc-boutées sur les valeurs les plus conservatrices ; les milices armées, censées faire respecter l’ordre, mais qui cherchent surtout à mettre la main sur le trafic de drogue. Le boeuf, la Bible et les balles… Une partie de la société locale se reconnaît dans ces « valeurs », à l’image de cet exploitant d’une mine d’or en Amazonie, avec qui l’auteur a eu cet échange éloquent : « L’environnement ? Une plaisanterie. Les Indiens ? Des ignorants. Voter Bolsonaro ? Avec plaisir et sans regrets… » La société brésilienne semble avoir pris ses distances avec les grandes causes sociales, ethniques ou environnementales qui l’animaient il y a vingt ans. Ce dont le président a parfaitement su profiter.
Cela n’empêche pas qu’il soit désormais au sommet de l’impopularité dans l’opinion publique, qui manifeste régulièrement pour obtenir son départ. Il est notamment impliqué dans un scandale de corruption à propos de l’achat en Inde de vaccins contre le Covid. Des procédures d’impeachment sont même en préparation. Mais rien ne dit que le mandat présidentiel de Bolsonaro n’ira pas à son terme, et qu’il n’en briguera pas un nouveau…