Travailler plus pour vivre mieux, par Robin Rivaton
Le débat sur le système des retraites masque le problème du faible nombre d’heures ouvrées sur l’année en France.
Alors que le débat sur la réforme des retraites vient d’être relancé, il faut d’abord se poser la question du volume global de travail. A peine a-t-on pris le risque d’évoquer l’idée qu’on ne travaille pas assez en France – « on » étant le pays dans sa globalité – que les opposants s’excitent, brandissant le nombre d’heures travaillées par les salariés à temps plein, le taux de chômage « truqué » dans d’autres pays ou le nombre conséquent de temps partiels ailleurs. Cette incapacité à bâtir un diagnostic commun est justement le problème de la France, ce qui empêche d’imaginer tout correctif.
Bon dernier de l’OCDE
Le mal français se résume en un unique chiffre. En 2019, notre pays comptait, par habitant âgé de 15 à 65 ans, une durée annuelle moyenne du travail de 1 092 heures, et se classait bon dernier de l’OCDE. Chez nos voisins allemands, cette durée est de 1 179 heures, quand elle tutoie les 1 300 de l’autre côté de la Manche, et s’établit à 1 272 heures pour l’ensemble de l’Union européenne.
C’est dans les pays où les habitants sont les plus riches – Suisse, Etats-Unis, Australie et Canada – que la durée annuelle moyenne du travail est la plus haute, entre 1 400 et 1 500 heures. Voilà de quoi flatter le bon sens des Français, ramener le sujet à l’échelon individuel pour en avoir une meilleure compréhension. Cela permet de capter l’ensemble des problèmes du marché du travail : taux de chômage élevé, départs à la retraite trop précoces, trop faible participation des jeunes, temps de travail hebdomadaire faible et nombre de jours travaillés réduit… Pour parer à toute critique, ces données proviennent de l’enquête européenne sur les forces de travail (Eurostat) réalisée par sondage auprès des ménages qui sont invités à déclarer leur durée effective de travail, permettant d’inclure salariés comme indépendants et de compter les heures supplémentaires.
Une apparence de productivité
Le génie français qui ferait de nous des travailleurs hors normes se révèle malheureusement faux. La forte productivité apparente n’est que le miroir d’un marché excluant les travailleurs les moins qualifiés dans les emplois de service. En outre, la production du secteur public étant comptabilisée à son coût, plus celle-ci est importante, plus elle fait gonfler la productivité horaire moyenne en masquant sa sous-productivité. Travailler 15 % de moins que nos voisins nous condamne à être plus pauvres. Dans un monde où l’accès aux connaissances est le même grâce à Internet, où le capital est disponible pareillement, où les machines sont identiques, c’est bien le volume de travail par habitant qui fait que tel ou tel pays est plus riche. Cette situation est le fruit d’un choix politique décidé à la fin des années 1990 par les responsables de gauche comme de droite avec l’introduction puis la perpétuation, pendant deux décennies, de la réduction du temps de travail sur l’année mais aussi sur la vie, avec les retraites anticipées.
Il faut se souvenir que Pierre Larrouturou débute dès 1993 une campagne en faveur de la semaine de quatre jours et convainc un député RPR de déposer un amendement sur les trente-deux heures. En décembre 1995, c’est le président de la région Rhône-Alpes, Charles Millon, qui présente ses propositions en matière de réduction du temps de travail, pour faire passer la durée hebdomadaire de 39 heures à 32 heures payées 35 heures, offrant d’aider les entreprises à prendre en charge le surcoût. La loi Robien sur l’aménagement du temps de travail, qui permet aux entreprises de réduire le temps de travail de leurs salariés pour procéder à de nouvelles embauches, naît en 1996 avant que les lois Aubry I et II ne viennent achever l’ouvrage.
Poser clairement la question
Près d’une génération après la naissance de cette idée de partage du temps de travail, il est temps de constater son échec. La France a un taux de chômage supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Pis encore, ce choix ne nous protège pas de la pauvreté. Le pourcentage de travailleurs pauvres, autrement dit vivant avec moins de 60 % du revenu médian après transferts sociaux, est en ligne avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Quant aux temps partiels subis, ils sont plus nombreux en France. Il est désormais temps de poser clairement la question aux électeurs. Voulons-nous travailler moins en vivant moins bien que nos voisins ?