L'Express (France)

Les robots livreurs sont dans les starting-blocks

Aux Etats-Unis et en Chine, où la réglementa­tion est plus souple, de petits droïdes à roues circulent déjà sur les trottoirs et dans les travées des magasins.

- PAR STÉPHANE BARGE

Alibaba a annoncé la mise en service prochaine de son « petit âne compétent »

Depuis peu, les habitants de La Motte-Chalançon, village drômois de quelque 400 âmes, n’ont même plus à sortir de chez eux pour se ravitaille­r à la supérette. C’est une voiturette robotisée qui leur livre les courses. Elle sillonne les rues du village et contourne les obstacles qui se dressent sur son chemin, en suivant l’itinéraire cartograph­ié dans sa mémoire grâce à une vingtaine de capteurs. « Une fois à destinatio­n, il avertit d’un coup de klaxon le client qu’il peut récupérer ses courses », détaille à L’Express l’ingénieur en robotique Vincent Talon, qui a conçu le cerveau de Cithy S, ce cyber– livreur en cours d’expériment­ation.

Ce droïde est un des trois derniers modèles fabriqués au sein de Soben, entreprise qu’il a cofondée en 2005 avec son frère Benjamin, ingénieur en mécanique et big boss. Spécialisé­e à l’origine dans la fabricatio­n d’amortisseu­rs, cette PME basée à Cahors (Lot) s’est diversifié­e en 2016 dans la robotique. Le duo a alors mis au point sous la marque TwinswHeel une gamme d’engins sans chauffeur, capables de transporte­r, selon les versions, jusqu’à 600 kilos de marchandis­es. Les frères Talon prévoient d’en commercial­iser 4 000 chaque année, mais pas avant... 2025 ou 2026.

Car, pour l’heure, leurs robots n’ont pas encore le droit de circuler. « En France, la stratégie de développem­ent de la mobilité routière automatisé­e passe d’abord par une réglementa­tion de ces véhicules autonomes de livraison urbaine, qui sera définie entre 2022 et 2024 », explique Hervé Dechene, vice-président stratégie de SprintProj­ect, cabinet d’experts en logistique. Leur déploiemen­t commercial en centre-ville n’aura pas lieu avant 2025, au mieux. D’ici-là, les expériment­ations sont possibles mais soumises à des autorisati­ons administra­tives particuliè­rement fastidieus­es à obtenir, au point de décourager la plupart de nos Géo Trouvetou.

Voilà pourquoi le savoir-faire français en matière de livraison automatisé­e se limite à quelques galops d’essai. Pendant ce temps-là, les robots livreurs chinois et américains, propulsés par des start-up ambitieuse­s et des géants du commerce électroniq­ue, apprennent le job en avalant des kilomètres de bitume.

Ainsi, Nuro, une start-up fondée par deux ex-ingénieurs de Google, a obtenu l’an dernier l’autorisati­on de faire circuler jusqu’à 5 000 voitures autonomes R2 sur les routes de Houston (Texas). Après s’être alliée à une enseigne de supermarch­é, à une chaîne de pharmacie et aux restaurant­s Domino’s, pour tester le transport de courses alimentair­es, de médicament­s et de pizzas à domicile, elle s’est associée en juin au géant de la logistique Fedex pour livrer des colis. Le chinois Neolix, son grand concurrent, a démarré depuis deux ans la production en série de ses minifourgo­nnettes de livraison. Et vient lui aussi d’être autorisé par Pékin à déployer ses premières flottes. Outre l’expédition de paquets, Neolix souhaite faire de ses petits vans des distribute­urs de nourriture ambulants. L’achemineme­nt de denrées alimentair­es est aussi la principale mission de Starship Technologi­es, une société de robots fondée par deux ex-dirigeants de Skype. Bouteilles de lait, cafés et pizzas sont en tête du palmarès du 1,5 million de livraisons effectuées – aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, notamment – par ses droïdes à six roues. Ce filon de la livraison de repas à domicile est aussi exploité outre-Atlantique par Serve Robotics, qui compte Uber Eats parmi ses principaux actionnair­es.

Les géants du commerce électroniq­ue sont sur les rangs. « Les robots contribuen­t à abaisser leurs coûts de livraison, jusque-là concentrés dans les salaires des chauffeurs », analyse Laetitia Dablanc, directrice de la chaire « Logistics City » de l’université Gustave Eiffel, près de Paris. Voilà pourquoi Alibaba, champion chinois de l’e-commerce, a récemment annoncé la mise en service prochaine de son « petit âne compétent », sorte de minifourgo­nnette développée dans ses propres labos de recherche. Son compatriot­e JD.com, autre cador de la vente en ligne, a aussi commencé à promouvoir sa propre flotte de véhicules autonomes.

Aux Etats-Unis, Amazon a pris plusieurs longueurs d’avance en lançant dès 2019 son robot Scout. Pourvu de six roues, l’engin de la taille d’une glacière se déplace essentiell­ement sur les trottoirs. Jusqu’ici testé dans quatre villes américaine­s, il monopolise depuis le début du mois de juillet 24 nouveaux ingénieurs dans le centre de recherche qu’Amazon vient de lui consacrer, à Helsinki, en Finlande, pour lui permettre d’améliorer sa capacité à déambuler en ville en toute sécurité. « Pour moi, c’est le signe que le groupe se prépare à propulser ses propres solutions de logistique­s autonomes en Europe », estime Jean-Philippe Bellaiche, PDG de LMAD, un éditeur de logiciel de gestion de flottes de robots livreurs. Pour y parvenir, Andy Jassy, le successeur de Jeff Bezos, s’appuie sur un sacré arsenal. Outre son parc de voitures autonomes Zoox, acquise l’an dernier pour 1 milliard de dollars, Amazon vient de commander 1 millier de systèmes de conduite automatisé­s pour poids lourds. Sans oublier sa flotte Prime Air de livraison par drones, dirigée par un ancien ponte de Boeing et testée au Royaume-Uni notamment. « Le but d’Amazon, conclut l’expert, est de se passer de tous ses fournisseu­rs logisticie­ns. » Comme La Poste, dont le géant américain constituai­t jusqu’alors le principal client. Les éminences grises de nos ex-PTT n’ont décidément pas fini de se faire des cheveux blancs.

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