Les robots livreurs sont dans les starting-blocks
Aux Etats-Unis et en Chine, où la réglementation est plus souple, de petits droïdes à roues circulent déjà sur les trottoirs et dans les travées des magasins.
Alibaba a annoncé la mise en service prochaine de son « petit âne compétent »
Depuis peu, les habitants de La Motte-Chalançon, village drômois de quelque 400 âmes, n’ont même plus à sortir de chez eux pour se ravitailler à la supérette. C’est une voiturette robotisée qui leur livre les courses. Elle sillonne les rues du village et contourne les obstacles qui se dressent sur son chemin, en suivant l’itinéraire cartographié dans sa mémoire grâce à une vingtaine de capteurs. « Une fois à destination, il avertit d’un coup de klaxon le client qu’il peut récupérer ses courses », détaille à L’Express l’ingénieur en robotique Vincent Talon, qui a conçu le cerveau de Cithy S, ce cyber– livreur en cours d’expérimentation.
Ce droïde est un des trois derniers modèles fabriqués au sein de Soben, entreprise qu’il a cofondée en 2005 avec son frère Benjamin, ingénieur en mécanique et big boss. Spécialisée à l’origine dans la fabrication d’amortisseurs, cette PME basée à Cahors (Lot) s’est diversifiée en 2016 dans la robotique. Le duo a alors mis au point sous la marque TwinswHeel une gamme d’engins sans chauffeur, capables de transporter, selon les versions, jusqu’à 600 kilos de marchandises. Les frères Talon prévoient d’en commercialiser 4 000 chaque année, mais pas avant... 2025 ou 2026.
Car, pour l’heure, leurs robots n’ont pas encore le droit de circuler. « En France, la stratégie de développement de la mobilité routière automatisée passe d’abord par une réglementation de ces véhicules autonomes de livraison urbaine, qui sera définie entre 2022 et 2024 », explique Hervé Dechene, vice-président stratégie de SprintProject, cabinet d’experts en logistique. Leur déploiement commercial en centre-ville n’aura pas lieu avant 2025, au mieux. D’ici-là, les expérimentations sont possibles mais soumises à des autorisations administratives particulièrement fastidieuses à obtenir, au point de décourager la plupart de nos Géo Trouvetou.
Voilà pourquoi le savoir-faire français en matière de livraison automatisée se limite à quelques galops d’essai. Pendant ce temps-là, les robots livreurs chinois et américains, propulsés par des start-up ambitieuses et des géants du commerce électronique, apprennent le job en avalant des kilomètres de bitume.
Ainsi, Nuro, une start-up fondée par deux ex-ingénieurs de Google, a obtenu l’an dernier l’autorisation de faire circuler jusqu’à 5 000 voitures autonomes R2 sur les routes de Houston (Texas). Après s’être alliée à une enseigne de supermarché, à une chaîne de pharmacie et aux restaurants Domino’s, pour tester le transport de courses alimentaires, de médicaments et de pizzas à domicile, elle s’est associée en juin au géant de la logistique Fedex pour livrer des colis. Le chinois Neolix, son grand concurrent, a démarré depuis deux ans la production en série de ses minifourgonnettes de livraison. Et vient lui aussi d’être autorisé par Pékin à déployer ses premières flottes. Outre l’expédition de paquets, Neolix souhaite faire de ses petits vans des distributeurs de nourriture ambulants. L’acheminement de denrées alimentaires est aussi la principale mission de Starship Technologies, une société de robots fondée par deux ex-dirigeants de Skype. Bouteilles de lait, cafés et pizzas sont en tête du palmarès du 1,5 million de livraisons effectuées – aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, notamment – par ses droïdes à six roues. Ce filon de la livraison de repas à domicile est aussi exploité outre-Atlantique par Serve Robotics, qui compte Uber Eats parmi ses principaux actionnaires.
Les géants du commerce électronique sont sur les rangs. « Les robots contribuent à abaisser leurs coûts de livraison, jusque-là concentrés dans les salaires des chauffeurs », analyse Laetitia Dablanc, directrice de la chaire « Logistics City » de l’université Gustave Eiffel, près de Paris. Voilà pourquoi Alibaba, champion chinois de l’e-commerce, a récemment annoncé la mise en service prochaine de son « petit âne compétent », sorte de minifourgonnette développée dans ses propres labos de recherche. Son compatriote JD.com, autre cador de la vente en ligne, a aussi commencé à promouvoir sa propre flotte de véhicules autonomes.
Aux Etats-Unis, Amazon a pris plusieurs longueurs d’avance en lançant dès 2019 son robot Scout. Pourvu de six roues, l’engin de la taille d’une glacière se déplace essentiellement sur les trottoirs. Jusqu’ici testé dans quatre villes américaines, il monopolise depuis le début du mois de juillet 24 nouveaux ingénieurs dans le centre de recherche qu’Amazon vient de lui consacrer, à Helsinki, en Finlande, pour lui permettre d’améliorer sa capacité à déambuler en ville en toute sécurité. « Pour moi, c’est le signe que le groupe se prépare à propulser ses propres solutions de logistiques autonomes en Europe », estime Jean-Philippe Bellaiche, PDG de LMAD, un éditeur de logiciel de gestion de flottes de robots livreurs. Pour y parvenir, Andy Jassy, le successeur de Jeff Bezos, s’appuie sur un sacré arsenal. Outre son parc de voitures autonomes Zoox, acquise l’an dernier pour 1 milliard de dollars, Amazon vient de commander 1 millier de systèmes de conduite automatisés pour poids lourds. Sans oublier sa flotte Prime Air de livraison par drones, dirigée par un ancien ponte de Boeing et testée au Royaume-Uni notamment. « Le but d’Amazon, conclut l’expert, est de se passer de tous ses fournisseurs logisticiens. » Comme La Poste, dont le géant américain constituait jusqu’alors le principal client. Les éminences grises de nos ex-PTT n’ont décidément pas fini de se faire des cheveux blancs.