60 Le moustique tigre en embuscade, par Gilles Pialloux
Il faut un « plan vecteurs » pour prévenir, en métropole, l’arrivée de maladies liées à l’invasion d’Aedes albopictus.
Le débat en ce début d’été ne concerne plus l’hypothèse d’une quatrième vague de pandémie Covid, mais son ampleur et sa date d’arrivée. Deux questions qui, au passage, ont contaminé les « rassuristes » des vagues précédentes, si bien que le débat s’opère désormais entre les plus et les moins « alarmistes ». Il est pourtant un élément majeur que cette crise sanitaire nous fait oublier, à tort : le vecteur animal. Le Covid-19 est une zoonose : une maladie ou une infection naturellement transmissible des animaux vertébrés à l’homme. Comme le sont, dans un inventaire à la Prévert, tant d’autres pathologies : dengue, chikungunya, Zika, Ebola, fièvre jaune, paludisme, infection au virus West Nile ou au virus Usutu, filariose lymphatique, fièvre de la vallée du Rift, infection au virus Toscana, leishmaniose, maladie de Chagas, maladie de Lyme, encéphalite à tiques, rickettsioses, borrélioses, etc.
Au-delà de la chauve-souris...
L’origine animale de Sars-CoV-2 est désormais clairement localisée dans l’ordre des chiroptères avec l’une des 1 400 espèces de chauve-souris, dont Rhinolophus affinis. Mais quelle politique internationale est-elle en train de s’écrire pour lutter contre cet indéniable vecteur animal ? Rappelons que, d’après l’Organisation mondiale de la santé, 60 % des maladies infectieuses humaines et 75 % des maladies infectieuses émergentes de l’homme seraient des zoonoses. De fait, certains spécialistes tentent d’anticiper la zoonose d’après. Et donc, si possible, de la prévenir par une lutte anti-vectorielle efficace.
Une force de la nature
Un coupable revient dans toutes les analyses : Aedes albopictus, le « moustique tigre » venu initialement d’Asie, élégant mais responsable de maladies telles que la dengue, le chikungunya ou Zika. Infections jusque-là essentiellement tropicales ou ultramarines. Ce moustique en pleine expansion qui, au début de l’année 2021, était déjà implanté dans 64 départements métropolitains, de l’Ain à la Seine-et-Marne, inquiète les autorités sanitaires. A l’échelle mondiale, l’expansion vectorielle et les maladies qui l’accompagnent connaissent de nombreuses explications : l’urbanisation, le commerce et les voyages internationaux, les systèmes d’élevage intensifs, la prolifération des populations de réservoirs et l’utilisation de médicaments antimicrobiens pour les cultures, le changement d’affectation des terres, la migration, le réchauffement climatique, l’assainissement et l’accès à l’eau potable qui peuvent favoriser la transmission d’agents pathogènes et modifier la dynamique des vecteurs. Mais il en est une, d’explication, peu abordée et sans doute moins politiquement correcte et plus centrée sur notre pays : la naturalisation croissante des villes. Du développement des écosystèmes ou jardins partagés au verdissement de l’architecture moderne en passant par l’importation urbaine de nouvelles arborisations. Exemple caricatural parmi d’autres, le projet de jardin forestier de la ville de Chengdu, province du Sichuan, en Chine, qui a transformé des tours en « forêts verticales », devenues une jungle de béton infestée de moustiques. La pression du moustique tigre pourrait très bien conduire, à terme, à des épidémies hexagonales de dengue ou de chikungunya. Et ce, d’autant plus que sa résistance aux insecticides (pyréthrinoïdes) menace les programmes de lutte anti-vectorielle à l’échelle mondiale.
Protéger l’ensemble des écosystèmes
Pas question ici d’opposer le « tout-béton » à la protection contre les zoonoses. Le mouvement One Health
(« Une seule santé »), né au début des années 2000, est une réponse simple : la protection de la santé de l’homme passe par celle de l’animal et de l’ensemble des écosystèmes. C’est ce que Didier Fontenille, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et grand spécialiste français avait défendu devant la commission parlementaire « contre la propagation des moustiques aedes et les maladies vectorielles ». Ce professionnel, qui s’apprête à lâcher
160 000 premiers moustiques tigres stérilisés à La Réunion, réclame « un plan vecteurs en France, sur le modèle de ceux contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer ».
Sans attendre une sortie de la crise du Covid, tant une épidémie peut en cacher une autre.