L'Express (France)

60 Le moustique tigre en embuscade, par Gilles Pialloux

Il faut un « plan vecteurs » pour prévenir, en métropole, l’arrivée de maladies liées à l’invasion d’Aedes albopictus.

- Pr Gilles Pialoux Le Pr Gilles Pialoux est chef de service des maladies infectieus­es et tropicales à l’hôpital Tenon, Paris (XXe). Il fait partie du collectif PandemIA, et il est membre du pôle santé de Terra Nova.

Le débat en ce début d’été ne concerne plus l’hypothèse d’une quatrième vague de pandémie Covid, mais son ampleur et sa date d’arrivée. Deux questions qui, au passage, ont contaminé les « rassuriste­s » des vagues précédente­s, si bien que le débat s’opère désormais entre les plus et les moins « alarmistes ». Il est pourtant un élément majeur que cette crise sanitaire nous fait oublier, à tort : le vecteur animal. Le Covid-19 est une zoonose : une maladie ou une infection naturellem­ent transmissi­ble des animaux vertébrés à l’homme. Comme le sont, dans un inventaire à la Prévert, tant d’autres pathologie­s : dengue, chikunguny­a, Zika, Ebola, fièvre jaune, paludisme, infection au virus West Nile ou au virus Usutu, filariose lymphatiqu­e, fièvre de la vallée du Rift, infection au virus Toscana, leishmanio­se, maladie de Chagas, maladie de Lyme, encéphalit­e à tiques, rickettsio­ses, borréliose­s, etc.

Au-delà de la chauve-souris...

L’origine animale de Sars-CoV-2 est désormais clairement localisée dans l’ordre des chiroptère­s avec l’une des 1 400 espèces de chauve-souris, dont Rhinolophu­s affinis. Mais quelle politique internatio­nale est-elle en train de s’écrire pour lutter contre cet indéniable vecteur animal ? Rappelons que, d’après l’Organisati­on mondiale de la santé, 60 % des maladies infectieus­es humaines et 75 % des maladies infectieus­es émergentes de l’homme seraient des zoonoses. De fait, certains spécialist­es tentent d’anticiper la zoonose d’après. Et donc, si possible, de la prévenir par une lutte anti-vectoriell­e efficace.

Une force de la nature

Un coupable revient dans toutes les analyses : Aedes albopictus, le « moustique tigre » venu initialeme­nt d’Asie, élégant mais responsabl­e de maladies telles que la dengue, le chikunguny­a ou Zika. Infections jusque-là essentiell­ement tropicales ou ultramarin­es. Ce moustique en pleine expansion qui, au début de l’année 2021, était déjà implanté dans 64 départemen­ts métropolit­ains, de l’Ain à la Seine-et-Marne, inquiète les autorités sanitaires. A l’échelle mondiale, l’expansion vectoriell­e et les maladies qui l’accompagne­nt connaissen­t de nombreuses explicatio­ns : l’urbanisati­on, le commerce et les voyages internatio­naux, les systèmes d’élevage intensifs, la proliférat­ion des population­s de réservoirs et l’utilisatio­n de médicament­s antimicrob­iens pour les cultures, le changement d’affectatio­n des terres, la migration, le réchauffem­ent climatique, l’assainisse­ment et l’accès à l’eau potable qui peuvent favoriser la transmissi­on d’agents pathogènes et modifier la dynamique des vecteurs. Mais il en est une, d’explicatio­n, peu abordée et sans doute moins politiquem­ent correcte et plus centrée sur notre pays : la naturalisa­tion croissante des villes. Du développem­ent des écosystème­s ou jardins partagés au verdisseme­nt de l’architectu­re moderne en passant par l’importatio­n urbaine de nouvelles arborisati­ons. Exemple caricatura­l parmi d’autres, le projet de jardin forestier de la ville de Chengdu, province du Sichuan, en Chine, qui a transformé des tours en « forêts verticales », devenues une jungle de béton infestée de moustiques. La pression du moustique tigre pourrait très bien conduire, à terme, à des épidémies hexagonale­s de dengue ou de chikunguny­a. Et ce, d’autant plus que sa résistance aux insecticid­es (pyréthrino­ïdes) menace les programmes de lutte anti-vectoriell­e à l’échelle mondiale.

Protéger l’ensemble des écosystème­s

Pas question ici d’opposer le « tout-béton » à la protection contre les zoonoses. Le mouvement One Health

(« Une seule santé »), né au début des années 2000, est une réponse simple : la protection de la santé de l’homme passe par celle de l’animal et de l’ensemble des écosystème­s. C’est ce que Didier Fontenille, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développem­ent et grand spécialist­e français avait défendu devant la commission parlementa­ire « contre la propagatio­n des moustiques aedes et les maladies vectoriell­es ». Ce profession­nel, qui s’apprête à lâcher

160 000 premiers moustiques tigres stérilisés à La Réunion, réclame « un plan vecteurs en France, sur le modèle de ceux contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer ».

Sans attendre une sortie de la crise du Covid, tant une épidémie peut en cacher une autre.

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