Le trou d’air des populistes, par Yascha Mounk
Du Brésil à l’Inde, en passant par l’Allemagne ou la Hongrie, la riposte démocratique a commencé.
Au cours de la dernière décennie, chaque élection semblait se solder par un nouveau succès pour les partis ou candidats populistes. Or le vent est peut-être sur le point de tourner. Commençons par l’Allemagne. En 2013, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), un parti d’extrême droite, n’obtenait que 5 % des voix requises pour entrer au Parlement. Quatre ans plus tard, en 2017, il atteignait 13 %. Loin de poursuivre sa rapide ascension, l’AfD voit son soutien populaire s’éroder pour la première fois de sa courte histoire. Certains sondages suggèrent que cette formation pourrait, lorsque les électeurs retourneront aux urnes en septembre, ne pas dépasser un score à un chiffre. Même après le départ d’Angela Merkel, il y a peu de raisons de craindre pour la stabilité de la démocratie allemande. En France, les récentes élections régionales n’ont pas donné une seule région au RN, alors que le parti de Marine Le Pen espérait en décrocher jusqu’à trois. Les partis traditionnels ont montré des signes surprenants de résilience électorale. Au Danemark et en Suède, en Grèce et aux Pays-Bas, les mouvements populistes représentés au Parlement ont, pour l’instant, cessé de croître. Mais c’est la Hongrie qui constitue le cas le plus intéressant. Du fait des attaques répétées du chef du gouvernement Viktor Orban contre les institutions indépendantes, la puissante ONG américaine Freedom House estime que le pays ne peut plus être considéré comme une démocratie – une première historique pour un Etat membre de l’Union européenne. Toutefois, l’opposition commence à se ressaisir. Asphyxiée pendant des années par le contrôle d’Orban sur les médias, le système judiciaire et la commission électorale, elle pourrait se retrouver au coude-à-coude avec son parti lors des élections parlementaires de l’année prochaine, grâce à une large alliance transpartisane. Viktor Orban devra alors choisir s’il ignore le résultat des urnes, se transformant ainsi en dictateur pur et simple, ou s’il renonce aux fonctions auxquelles il tient apparemment tant.
Un retournement de situation
En Amérique latine aussi, certains de ces hommes forts commencent à subir un retournement de situation. Elu en 2018, Jair Bolsonaro est désormais en grande difficulté. Faute d’alliés fidèles au sein du Congrès brésilien, il n’a pas pu concentrer le pouvoir entre ses mains, et sa gestion calamiteuse de la pandémie a fait chuter sa popularité. Selon les sondages actuels, Lula, l’un de ses prédécesseurs, devrait le battre haut la main lors de la prochaine élection présidentielle. Au Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador, un populiste de gauche, a remporté la présidence du pays en promettant une redistribution massive et la fin de la corruption. Là encore, sa façon de gérer le Covid-19 – un mélange fatal de complaisance et de négationnisme ressemblant étonnamment au cocktail utilisé par ses adversaires idéologiques Trump et Bolsonaro – a fortement nui à son image. Lors du scrutin de juin, il a perdu près de 20 % de ses soutiens.
S’il conserve la majorité au Congrès grâce à une coalition, sa capacité à faire passer des lois controversées a été réduite. Même certains populistes autoritaires installés de longue date traversent une mauvaise passe. En Inde, Narendra Modi a récemment subi des revers douloureux lors d’importantes élections d’Etat, et, en Turquie, Recep Tayyip Erdogan est devenu profondément impopulaire dans un contexte de crise financière aiguë. Bien que tous deux soient susceptibles de rester en selle dans un avenir proche, leur étoile électorale respective ne brille plus autant qu’il y a quelques années.
Une désillusion qui s’installe
Je sais qu’il est bien trop tôt pour déclarer que nous avons atteint le « pic du populisme ». Mais des preuves empiriques laissent entrevoir une inversion de la tendance à plus ou moins court terme. Lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, la nouvelle génération de dirigeants politiques avait fait d’énormes promesses à ses électeurs. Maintenant que les uns et les autres peuvent être jugés sur leur bilan, une certaine désillusion s’installe. Tandis que les partis traditionnels, eux, ont appris à concurrencer les populistes, en comprenant enfin que leurs électeurs s’étaient jetés dans les bras de ces derniers parce qu’ils n’en pouvaient plus de ne pas être entendus.
En période de prospérité, la plupart des citoyens ne se soucient pas de savoir qui siège à la commission électorale ou réglemente les médias. Mais lorsque des dirigeants autoritaires se mettent à placer leurs fidèles dans ces institutions clefs, à interdire des candidats populaires ou à fermer les chaînes de télévision indépendantes, ils deviennent plus curieux sur ces sujets. Les populistes autoritaires restent une menace sérieuse pour l’avenir de la démocratie libérale.
Mais du Brésil à la Hongrie, la riposte démocratique a commencé.