La revanche des Mapuche
Elue présidente de l’Assemblée constituante, l’Amérindienne Elisa Loncon entend réhabiliter son peuple, spolié depuis l’indépendance du pays en 1818.
Le poing levé, en costume traditionnel, un imposant collier d’argent autour du cou, Elisa Loncon, 58 ans, monte sur l’estrade. Dans un discours vibrant, entamé en mapudungun, la langue des Mapuche – les premiers habitants du pays –, elle promet de « refonder un nouveau Chili, pluriel, multilinguistique, qui respecte les femmes et les territoires ». Bref, d’en finir avec la domination des forts sur les faibles. Le moment est historique : en ce 4 juillet, une femme indigène devient présidente de l’Assemblée constituante, un organe presque paritaire (78 hommes pour 77 femmes) élu en mai dernier, qui dispose d’un délai d’un an pour rédiger une nouvelle Constitution.
Linguiste reconnue, bardée de diplômes, Elisa Loncon a la lourde tâche de proposer les thèmes des débats – qu’elle dirigera – de la Constituante, où la société civile et les peuples autochtones (17 sièges leur sont réservés) sont largement représentés. « Un rôle sur mesure pour elle, estime l’historien Fernando Pairican, qui la croise régulièrement dans les couloirs de l’université de Santiago. C’est une fine diplomate, imperméable à la critique, qui ne se laisse pas facilement impressionner. » Dans son nouveau rôle, elle sera une interlocutrice privilégiée du président de la République, le conservateur Sebastian Piñera.
Une révolution dans cette ancienne colonie espagnole qui, depuis son indépendance en 1818, ne s’est pas gênée pour réprimer, spolier et ostraciser les peuples premiers, dont les Mapuche, qui représentent 14 % des 19 millions de Chiliens. « Lorsque j’étais petite, les professeurs nous frappaient en nous traitant d’Indiens », a raconté à la radio, en 2017, Elisa Loncon, qui, enfant, parcourait chaque jour 8 kilomètres à pied sur des chemins boueux pour se rendre à l’école.
La trajectoire de sa famille épouse l’histoire tumultueuse de son ethnie, essentiellement établie en Araucanie, la région la plus pauvre du Chili, à 700 kilomètres au sud de la capitale. Fille d’un fabricant de meubles et d’une mère au foyer, la jeune Elisa était présente lorsque son grandpère fut arrêté après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet en 1973. Des années auparavant, ce même aïeul avait réussi la première récupération de terres à Traiguen, le fief de la famille Loncon – l’un des nombreux épisodes du conflit historique entre l’Etat et les Indiens mapuche, dépossédés de 95 % de leurs terres depuis la colonisation.
Lors de ses études à l’université, la jeune étudiante s’insurgeait contre la dictature et résistait en écrivant des pièces de théâtre en mapudungun. Plus tard, l’enseignement de sa langue natale devint le combat de sa vie. Dans un contexte de retour à la démocratie, la charismatique militante s’est investie dans le « Conseil de toutes les terres », qui promeut l’autonomie du territoire mapuche. Désormais « présidente », l’Amérindienne entend mettre ce sujet à l’ordre du jour de la Constituante. Lors de sa prise de fonction, elle s’est ainsi engagée à faire du Chili « un Etat plurinational ». Et de conclure par le cri de guerre de ses ancêtres : Marichiwew !, soit : « Dix et mille fois, nous vaincrons ! »