5G : la vendetta de Bouygues Telecom contre l’Etat
Contrainte de démonter les antennes mobiles fournies par l’équipementier chinois Huawei, la filiale du groupe de travaux publics contre-attaque.
Martin nous a donné carte blanche, nous irons jusqu’au bout ! » Le ton est combatif, la volonté semble inflexible. Ce ponte du groupe de BTP, proche de Martin Bouygues, a l’autorisation d’utiliser tous les moyens possibles pour faire payer l’Etat. Les batailles qui s’annoncent vont être longues et complexes, d’autant qu’elles vont se jouer sur des milliers de points éparpillés dans l’Hexagone. En effet, afin de se conformer à la nouvelle législation voulue par le gouvernement, Bouygues Telecom est tenu de désinstaller quelque 3 000 antennes de téléphonie mobile d’ici à 2028, au plus tard. Le texte prévoit que, afin de « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France », ces stations, qui ont été fournies par l’équipementier chinois Huawei, ne peuvent être conservées lors du passage de la 4G à la 5G.
Rennes, Brest, Strasbourg, Toulouse, Paris… sont concernées par cette mesure. Il ne reste qu’à remplacer les installations actuelles par celles du groupe finlandais Nokia ou du suédois Ericsson. La raison d’une telle défiance ? Le groupe basé à Shenzhen est soupçonné par les Etats-Unis et ses alliés occidentaux de faire peser des risques d’espionnage, voire de sabotage, sur les réseaux de nouvelle génération.
Cette technologie est censée connecter à l’Internet très haut débit les industries, les usines, mais surtout des entreprises sensibles et essentielles au bon fonctionnement d’un pays. Ces soupçons sont rejetés en bloc par Huawei, fournisseur principal de Bouygues Telecom (47,5 % du parc) et de SFR (52 %) en France.
Embarqué dans ce conflit géopolitique, Olivier Roussat, directeur général du groupe de BTP, riposte. Il estime que le gouvernement doit assumer les conséquences du changement des règles du jeu en mettant la main à la poche. Jusqu’à présent, le dirigeant s’est heurté à un refus catégorique. Mais le voilà désormais prêt à « manier le bâton » – c’est-à-dire tout l’arsenal des actions juridiques et contentieuses. L’expression est très mal passée auprès de Cédric O. Le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques n’apprécie guère qu’une entreprise privée ose menacer la puissance publique.
Et cependant, Bouygues Telecom comme SFR ont remporté une première manche devant le Conseil d’Etat. Dans sa décision du mois d’avril, l’institution ouvre la voie à une possible indemnisation à l’instar de ce qui s’est produit dans d’autres pays. Les Etats-Unis ont ainsi débloqué 1,8 milliard de dollars afin d’aider certains opérateurs à ne plus utiliser le matériel Huawei, et le Royaume-Uni va mettre sur pied un fonds de recherche et développement pour développer la filière.
La France, elle, compte n’agir que sous la contrainte. Tout dépendra donc du jugement à venir. « Nous avons de longs mois devant nous », indique une des parties prenantes. Avant de remettre la facture, la filiale du groupe de BTP devra d’abord quantifier le coût de ces modifications sur son réseau. Une première estimation du préjudice a été réalisée : 900 millions d’euros. Mais elle ne peut être soumise devant un tribunal tant que les nouvelles antennes n’auront pas été déployées.
Ce sera chose faite en fin d’année, et toutes les demandes d’indemnisation, site par site, seront alors regroupées dans un recours présenté devant le tribunal administratif de Paris. De son côté, SFR compte également suivre cette voie. Ce dossier devrait durer plus d’un an et se conclure bien après l’élection présidentielle de 2022. Un cadeau empoisonné qui attend… le prochain gouvernement.