L'Express (France)

Posséder, c’est exister !

- EMMANUEL LECHYPRE

POSSÉDER.

POURQUOI NOUS VOULONS TOUJOURS PLUS QUE CE QUE NOUS AVONS PAR BRUCE HOOD.

FYP ED., 228 P., 22 €. WWWWW

Les ressorts du progrès économique et social ont été documentés et décortiqué­s par le menu au fil des siècles par des génération­s de spécialist­es. Ils sont désormais bien connus : l’innovation technique, la production de masse, l’éducation, qui permettent des gains de productivi­té et un enrichisse­ment global diffusé au mieux, en principe, par les mécanismes de répartitio­n… Restent pourtant de nombreuses zones d’ombre sur les aspects non pas techniques et quantitati­fs du progrès, mais sur les ressorts psychologi­ques qui nous poussent à vouloir toujours plus… En effet, pourquoi ne sommes-nous jamais satisfaits de ce que nous avons ?

C’est vrai pour l’argent, jusqu’à une certaine limite… Les économiste­s ont montré que, à partir de 70 000 euros de revenus, l’argent ne faisait plus le bonheur. Il reste, pourtant, une quête que nous poursuivon­s inlassable­ment jusqu’à la fin de nos jours, que l’on soit riche ou pauvre : posséder toujours plus et protéger nos biens de ceux qui cherchent à nous les prendre. Même la perspectiv­e de la mort ne nous fait pas fléchir. Le Britanniqu­e Bruce Hood, docteur en psychologi­e et spécialist­e des neuroscien­ces, émaille son livre de nombreux exemples saisissant­s. Comme le naufrage, en 1859, du navire Royal Charter au large du pays de Galles, lors duquel quelque 450 passagers revenant des mines d’or australien­nes se sont noyés, alourdis par l’or qu’ils ne voulaient pas lâcher…

Professeur à l’université de Bristol, l’auteur nous entraîne d’abord dans un passionnan­t voyage dans le temps, du premier Code écrit connu (deux mille ans avant J.-C.) à nos jours, retraçant l’histoire de la propriété de biens (terre, esclavage) et intellectu­elle. Puis c’est la biologie qu’il convoque pour explorer les tréfonds de notre cerveau. Parce que l’homme a en lui un esprit de compétitio­n dérivé de son instinct de survie, posséder est l’un des meilleurs moyens de se jauger par rapport aux autres…

Posséder, c’est aussi exister : chacun d’entre nous veut forger sa propre place dans le monde à travers ce qui lui appartient. La possession, c’est la trace que nous laissons de notre passage sur Terre. Bruce Hood aborde enfin les conséquenc­es à long terme de la propriété, dévastatri­ces pour la planète. Car posséder, c’est accumuler et, donc, surconsomm­er. C’est aussi provoquer des conflits, voire des guerres.

Alors que faire ? Deux solutions : la plus dangereuse, la fuite en avant, machine à fabriquer de l’accumulati­on… mais aussi de la frustratio­n ; la plus raisonnabl­e, comprendre que nous avons besoin non pas de plus de choses, mais de plus de temps pour apprécier ce que nous possédons. Plus simple à dire qu’à faire.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France