L'Express (France)

Les mangroves, un puits à carbone menacé

- YOHAN BLAVIGNAT

Peu à peu, ces marais maritimes disparaiss­ent. Or ils stockent de 5 à 10 fois plus de CO2 que les forêts tropicales.

Des arbres qui prennent racine sous l’eau, des moustiques partout. Voilà pour le cliché. Il suffit pourtant de s’immerger quelques secondes dans une mangrove pour découvrir un écosystème habité d’une biodiversi­té luxuriante. Poissons, crabes, oiseaux, singes, serpents… Ce

biotope unique, qui couvre près de 15 millions d’hectares dans le monde, dont 0,7 % dans la France d’outre-mer – essentiell­ement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie –, n’est pas seulement un paradis pour les taxonomist­es. Il rend de nombreux services à la planète, comme le souligne dans un récent rapport l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor).

Tout d’abord, grâce à ses arbres aux longues racines et au bois dense à croissance rapide, appelés palétuvier­s, les mangroves constituen­t des puits de carbone très efficaces. « La majorité du CO2 stocké se trouve sous terre, dans la litière (feuilles, branches et tronc morts), dont une partie est enfouie par la sédimentat­ion ou par les crabes, explique la consultant­e en environnem­ent Catherine Gabrié, coauteure de l’étude de l’Ifrecor. Le carbone peut y rester piégé pendant des siècles, voire des millénaire­s. » On estime ainsi qu’elles retiennent de 5 à 10 fois plus de carbone que les autres forêts tropicales ! Rien qu’en France, l’ensemble des quelque 100 000 hectares de mangroves séquestren­t un total de 2,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 chaque année, soit environ l’ensemble des émissions générées par la desserte aérienne des régions ultramarin­es. Et ce n’est pas tout. Cet écosystème permet également de réduire considérab­lement l’impact des vents d’ouragan et joue un rôle de barrière contre les tempêtes. Selon l’Ifrecor, les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers marins absorbent jusqu’à 90 % de l’énergie de la houle. En France, 2,4 millions de mètres carrés d’infrastruc­tures hôtelières et d’équipement­s publics bénéficien­t de cette protection naturelle. En Asie, les mangroves servent aussi de digue contre les tsunamis. Pour peu qu’elles soient suffisamme­nt larges, elles diminuent énormément la hauteur des vagues frappant les zones côtières. Elles peuvent également contribuer au traitement des eaux usées et filtrent les sédiments venus des terres agricoles. Enfin, elles représente­nt un refuge pour beaucoup d’espèces animales. Une mangrove qui dépérit, c’est donc un risque de pénurie alimentair­e pour les population­s qui en dépendent.

Malgré des bénéfices exceptionn­els, cet écosystème est confronté à de nombreux périls. Notamment la déforestat­ion en faveur de la rizicultur­e ou de l’élevage de crevettes. Les changement­s climatique­s ont aussi un effet négatif. La montée des eaux entraîne un déplacemen­t des mangroves vers les terres intérieure­s. Une migration difficile, car beaucoup de littoraux sont déjà occupés par les activités humaines. Et l’augmentati­on prévue de la force des cyclones pourrait aggraver l’état des palétuvier­s, déjà affaiblis par ces multiples pressions anthropiqu­es.

La superficie des mangroves diminue de 1 % par an environ. Depuis l’an 2000, elles ont perdu plus de 10 000 kilomètres carrés, soit la taille d’un pays comme le Liban. « Il y a quelques décennies, elles étaient considérée­s comme insalubres, assure Catherine Gabrié. On ne pouvait pas y accéder, il y avait des moustiques partout, donc les autorités les détruisaie­nt pour construire des routes. » Si rien n’est fait, les scientifiq­ues estiment qu’elles auront totalement disparu en 2040. Avec le risque que le carbone stocké ne retourne dans l’atmosphère. ✷

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Les mangroves couvrent environ 15 millions d’hectares dans le monde.

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