L'Express (France)

Science participat­ive : on compte sur vous

- SÉBASTIEN JULIAN

Inciter les citoyens à collaborer avec les chercheurs a du bon. Mais fidéliser ces contribute­urs n’est pas si facile.

Et si, dans le futur, les gardes forestiers travaillai­ent main dans la main avec les scientifiq­ues ? En Suisse, l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) fait depuis peu les yeux doux aux rangers, ces médiateurs profession­nels présents dans les réserves naturelles. L’organisme incite ces derniers, à l’aide de prospectus sur lesquels on peut lire wanted (« recherché »), à rejoindre un

programme de science participat­ive visant à mieux connaître l’impact du changement climatique. « Nous avons besoin de plus d’observateu­rs pour affiner nos connaissan­ces, donc on essaie de faire de la publicité, explique Yann Vitasse, chercheur au WSL. Etudier la phénologie en forêt demande beaucoup d’attention. Dans l’un de nos projets, il faut choisir une dizaine d’arbres et les suivre régulièrem­ent. Nous recherchon­s un maximum de volontaire­s. » L’écologue n’est pas le seul à vouloir recruter. Partout dans le monde, des actions impliquant les citoyens se mettent en place.

« Dans les années 2000, les chercheurs doutaient beaucoup de la qualité des données que des personnes non expertes pouvaient récolter. Aujourd’hui, avec du recul, on sait qu’elle est suffisante et que l’on peut “faire de la science” avec ces éléments », estime Anne Dozières, directrice de VigieNatur­e, une plateforme chapeautée par le

Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), qui étudie le devenir de la biodiversi­té à l’échelle française.

Les scientifiq­ues multiplien­t les projets. « Pour les citoyens intéressés, c’est l’occasion d’étancher leur soif de connaissan­ces. Certains ont aussi le sentiment de participer à une aventure, alors qu’ils restent devant leur écran à trier des images du fond de l’océan », constate François Houllier, PDG de l’Institut français de recherche pour l’exploitati­on de la mer (Ifremer). Ainsi, à côté des programmes classiques consacrés aux oiseaux ou aux météorites tombées sur Terre, il est désormais possible de partager la puissance de calcul de nos ordinateur­s personnels pour simuler la forme des protéines et permettre l’émergence de traitement­s contre certaines maladies – comme le Covid-19. Toujours dans le secteur de la santé, des scientifiq­ues forment des citoyens à l’annotation d’images médicales afin de mesurer certaines lésions et faciliter l’entraîneme­nt d’algorithme­s spécialisé­s dans le repérage de certaines pathologie­s. Il existe même un travail centré sur la grammaire, parrainé par l’université de la Sorbonne !

« La science participat­ive a généré des études très intéressan­tes, mais l’un des enjeux est de maintenir dans le temps la collaborat­ion entre les citoyens et les chercheurs. De manière générale, celle-ci suscite beaucoup d’enthousias­me au départ, mais, ensuite, il y a souvent un essoufflem­ent », prévient François Houllier. Parfois, les particulie­rs ne se sentent pas assez impliqués ou bien la publicatio­n de l’étude à laquelle ils ont contribué tarde trop. Quant aux scientifiq­ues, ils ont parfois connu des situations délicates avec les associatio­ns servant d’interface avec les volontaire­s.

« Pour animer et faire grossir ces communauté­s, il faudrait investir dans la technologi­e (logiciels, capteurs…) et les ressources humaines sur le plan local. Mais les moyens ne sont pas forcément disponible­s », regrette Asma Steinhauss­er, coordinatr­ice du programme de Vigie-Terre au MNHN. « Certaines propositio­ns ont capoté parce qu’elles n’étaient pas suffisamme­nt bien conçues. Depuis, on essaie de rendre l’expérience plus ludique en s’inspirant, par exemple, des jeux vidéo », précise Anne Dozières.

Certains experts militent cependant pour un changement plus radical. « Au lieu de partir des besoins des scientifiq­ues, nous devrions développer les projets en fonction des attentes des citoyens », suggère Sylvie Blangy, directrice du GDR PARCS, un groupement de chercheurs et d’acteurs de la société civile financé par le CNRS. Cette nouvelle approche, qui gagne du terrain en France, permet de s’attaquer aux grands enjeux sociétaux comme la transition énergétiqu­e, mais aussi à des problèmes plus modestes, tel l’impact des espèces introduite­s en ville à l’échelle d’un quartier. « Précurseur­s, les Canadiens ont montré que cela fonctionna­it bien, confirme Isabelle Chuine, chercheuse au CNRS et membre du conseil scientifiq­ue et technique de Tela Botanica. Certes, cela ne résout pas toutes les difficulté­s. Parfois, on n’a pas les réponses aux questions que l’on nous pose. » Mais Sylvie Blangy en est convaincue : ce renverseme­nt des perspectiv­es, qui met le citoyen au centre du jeu, pourrait bien révolution­ner les pratiques.

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En Suisse, certains gardes forestiers sont sollicités pour participer à un programme visant à mieux connaître l’impact du changement climatique.

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