Science participative : on compte sur vous
Inciter les citoyens à collaborer avec les chercheurs a du bon. Mais fidéliser ces contributeurs n’est pas si facile.
Et si, dans le futur, les gardes forestiers travaillaient main dans la main avec les scientifiques ? En Suisse, l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) fait depuis peu les yeux doux aux rangers, ces médiateurs professionnels présents dans les réserves naturelles. L’organisme incite ces derniers, à l’aide de prospectus sur lesquels on peut lire wanted (« recherché »), à rejoindre un
programme de science participative visant à mieux connaître l’impact du changement climatique. « Nous avons besoin de plus d’observateurs pour affiner nos connaissances, donc on essaie de faire de la publicité, explique Yann Vitasse, chercheur au WSL. Etudier la phénologie en forêt demande beaucoup d’attention. Dans l’un de nos projets, il faut choisir une dizaine d’arbres et les suivre régulièrement. Nous recherchons un maximum de volontaires. » L’écologue n’est pas le seul à vouloir recruter. Partout dans le monde, des actions impliquant les citoyens se mettent en place.
« Dans les années 2000, les chercheurs doutaient beaucoup de la qualité des données que des personnes non expertes pouvaient récolter. Aujourd’hui, avec du recul, on sait qu’elle est suffisante et que l’on peut “faire de la science” avec ces éléments », estime Anne Dozières, directrice de VigieNature, une plateforme chapeautée par le
Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), qui étudie le devenir de la biodiversité à l’échelle française.
Les scientifiques multiplient les projets. « Pour les citoyens intéressés, c’est l’occasion d’étancher leur soif de connaissances. Certains ont aussi le sentiment de participer à une aventure, alors qu’ils restent devant leur écran à trier des images du fond de l’océan », constate François Houllier, PDG de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Ainsi, à côté des programmes classiques consacrés aux oiseaux ou aux météorites tombées sur Terre, il est désormais possible de partager la puissance de calcul de nos ordinateurs personnels pour simuler la forme des protéines et permettre l’émergence de traitements contre certaines maladies – comme le Covid-19. Toujours dans le secteur de la santé, des scientifiques forment des citoyens à l’annotation d’images médicales afin de mesurer certaines lésions et faciliter l’entraînement d’algorithmes spécialisés dans le repérage de certaines pathologies. Il existe même un travail centré sur la grammaire, parrainé par l’université de la Sorbonne !
« La science participative a généré des études très intéressantes, mais l’un des enjeux est de maintenir dans le temps la collaboration entre les citoyens et les chercheurs. De manière générale, celle-ci suscite beaucoup d’enthousiasme au départ, mais, ensuite, il y a souvent un essoufflement », prévient François Houllier. Parfois, les particuliers ne se sentent pas assez impliqués ou bien la publication de l’étude à laquelle ils ont contribué tarde trop. Quant aux scientifiques, ils ont parfois connu des situations délicates avec les associations servant d’interface avec les volontaires.
« Pour animer et faire grossir ces communautés, il faudrait investir dans la technologie (logiciels, capteurs…) et les ressources humaines sur le plan local. Mais les moyens ne sont pas forcément disponibles », regrette Asma Steinhausser, coordinatrice du programme de Vigie-Terre au MNHN. « Certaines propositions ont capoté parce qu’elles n’étaient pas suffisamment bien conçues. Depuis, on essaie de rendre l’expérience plus ludique en s’inspirant, par exemple, des jeux vidéo », précise Anne Dozières.
Certains experts militent cependant pour un changement plus radical. « Au lieu de partir des besoins des scientifiques, nous devrions développer les projets en fonction des attentes des citoyens », suggère Sylvie Blangy, directrice du GDR PARCS, un groupement de chercheurs et d’acteurs de la société civile financé par le CNRS. Cette nouvelle approche, qui gagne du terrain en France, permet de s’attaquer aux grands enjeux sociétaux comme la transition énergétique, mais aussi à des problèmes plus modestes, tel l’impact des espèces introduites en ville à l’échelle d’un quartier. « Précurseurs, les Canadiens ont montré que cela fonctionnait bien, confirme Isabelle Chuine, chercheuse au CNRS et membre du conseil scientifique et technique de Tela Botanica. Certes, cela ne résout pas toutes les difficultés. Parfois, on n’a pas les réponses aux questions que l’on nous pose. » Mais Sylvie Blangy en est convaincue : ce renversement des perspectives, qui met le citoyen au centre du jeu, pourrait bien révolutionner les pratiques.