La communication non violente
Un risque de dérive
Ne dites plus : « Tu es toujours en retard, c’est vraiment insupportable. » Mais plutôt : « Nous avions rendez-vous à 9 heures et tu es arrivé à 9 h 20. Je suis contrarié car j’ai besoin de ponctualité pour m’organiser. Lorsque nous avons rendez-vous, je te demande de m’informer de tout retard potentiel pour que je puisse m’ajuster en conséquence. »* Evidemment, c’est un peu long et difficile à prononcer, surtout si l’on se trouve sous le coup de l’énervement. Mais il s’agit bien là de l’objectif de la communication non violente : désamorcer les conflits, développer une relation de qualité avec les autres.
La méthode a été inventée à la fin des années 1960 par un psychologue américain, Marshall B. Rosenberg. Elle repose sur quatre règles. D’abord, décrire une situation dans des termes d’observation partageable. Ensuite, exprimer les sentiments ressentis face à cette situation. Puis clarifier les besoins à la source de ces sentiments. Enfin, formuler une demande réalisable, précise et énoncée positivement. Facile à présenter mais complexe à mettre en pratique, cette technique de développement personnel, qui est aussi une marque déposée, génère une offre conséquente de livres, de séminaires en ligne ou de stages.
En elle-même, la communication non violente ne comporte guère de risque. « C’est la base de la psychothérapie interpersonnelle, qui permet de contenir l’agressivité », confirme le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille. Son invention aurait même eu du bon : « Ces préceptes ont pu atténuer l’autoritarisme excessif qui prévalait dans les années 1950 et 1960 dans l’éducation, l’entreprise, les relations familiales, reconnaît la philosophe Julia de Funès. Mais on finit parfois par reprendre automatiquement des phrases convenues, et tomber dans de la Soupline langagière. En entreprise, cette novlangue sucrée et mâtinée de bienveillance exaspère tout le monde, car elle manque d’authenticité et de personnalité. »
De son côté, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) indique n’avoir encore jamais reçu de plaintes à propos de l’organisme de formation français lié au Centre pour la communication non violente, une structure internationale qui se prévaut de Marshall Rosenberg. Les experts de la Miviludes appellent toutefois à la prudence vis-à-vis « de coachs et de spécialistes autoproclamés dont les qualifications n’ont pas été contrôlées » : « Comme souvent, ce ne sont pas tant les méthodes en elles-mêmes que l’intention de ceux qui les enseignent qui posent un problème », notent-ils après avoir reçu l’an dernier trois signalements. « Sous couvert de communication non violente, des personnes peuvent prendre un ascendant sur un individu ou un groupe, et abuser de ce pouvoir », constatent-ils.
Dans leur viseur en particulier, des structures qui ciblent les plus jeunes, au travers des établissements scolaires, des enseignants ou des parents, en promettant épanouissement personnel et contrôle des émotions : « Nombre de pratiques proposées, dont la méditation, les massages entre écoliers ou la communication non violente, ne reposent pas sur des qualifications certifiées et peuvent induire un amateurisme de la part des instructeurs. » D’autant plus que les résultats annoncés n’ont jamais fait l’objet d’études scientifiques, et présentent comme seules références des témoignages bien souvent invérifiables… ✸
« Nombre de pratiques ne reposent pas sur des qualifications certifiées »