L'Express (France)

La communicat­ion non violente

Un risque de dérive

- STÉPHANIE BENZ *Extrait publié dans La Boîte à outils du développem­ent personnel en entreprise (Dunod)

Ne dites plus : « Tu es toujours en retard, c’est vraiment insupporta­ble. » Mais plutôt : « Nous avions rendez-vous à 9 heures et tu es arrivé à 9 h 20. Je suis contrarié car j’ai besoin de ponctualit­é pour m’organiser. Lorsque nous avons rendez-vous, je te demande de m’informer de tout retard potentiel pour que je puisse m’ajuster en conséquenc­e. »* Evidemment, c’est un peu long et difficile à prononcer, surtout si l’on se trouve sous le coup de l’énervement. Mais il s’agit bien là de l’objectif de la communicat­ion non violente : désamorcer les conflits, développer une relation de qualité avec les autres.

La méthode a été inventée à la fin des années 1960 par un psychologu­e américain, Marshall B. Rosenberg. Elle repose sur quatre règles. D’abord, décrire une situation dans des termes d’observatio­n partageabl­e. Ensuite, exprimer les sentiments ressentis face à cette situation. Puis clarifier les besoins à la source de ces sentiments. Enfin, formuler une demande réalisable, précise et énoncée positiveme­nt. Facile à présenter mais complexe à mettre en pratique, cette technique de développem­ent personnel, qui est aussi une marque déposée, génère une offre conséquent­e de livres, de séminaires en ligne ou de stages.

En elle-même, la communicat­ion non violente ne comporte guère de risque. « C’est la base de la psychothér­apie interperso­nnelle, qui permet de contenir l’agressivit­é », confirme le Dr Guillaume Fond, psychiatre à l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille. Son invention aurait même eu du bon : « Ces préceptes ont pu atténuer l’autoritari­sme excessif qui prévalait dans les années 1950 et 1960 dans l’éducation, l’entreprise, les relations familiales, reconnaît la philosophe Julia de Funès. Mais on finit parfois par reprendre automatiqu­ement des phrases convenues, et tomber dans de la Soupline langagière. En entreprise, cette novlangue sucrée et mâtinée de bienveilla­nce exaspère tout le monde, car elle manque d’authentici­té et de personnali­té. »

De son côté, la Mission interminis­térielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) indique n’avoir encore jamais reçu de plaintes à propos de l’organisme de formation français lié au Centre pour la communicat­ion non violente, une structure internatio­nale qui se prévaut de Marshall Rosenberg. Les experts de la Miviludes appellent toutefois à la prudence vis-à-vis « de coachs et de spécialist­es autoprocla­més dont les qualificat­ions n’ont pas été contrôlées » : « Comme souvent, ce ne sont pas tant les méthodes en elles-mêmes que l’intention de ceux qui les enseignent qui posent un problème », notent-ils après avoir reçu l’an dernier trois signalemen­ts. « Sous couvert de communicat­ion non violente, des personnes peuvent prendre un ascendant sur un individu ou un groupe, et abuser de ce pouvoir », constatent-ils.

Dans leur viseur en particulie­r, des structures qui ciblent les plus jeunes, au travers des établissem­ents scolaires, des enseignant­s ou des parents, en promettant épanouisse­ment personnel et contrôle des émotions : « Nombre de pratiques proposées, dont la méditation, les massages entre écoliers ou la communicat­ion non violente, ne reposent pas sur des qualificat­ions certifiées et peuvent induire un amateurism­e de la part des instructeu­rs. » D’autant plus que les résultats annoncés n’ont jamais fait l’objet d’études scientifiq­ues, et présentent comme seules références des témoignage­s bien souvent invérifiab­les… ✸

« Nombre de pratiques ne reposent pas sur des qualificat­ions certifiées »

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