L'Express (France)

Le RN veut être le camp de la raison

Au Palais-Bourbon, le parti d’extrême droite joue sa crédibilit­é en votant les textes de la majorité et en dénonçant les « inconséque­nces » de la gauche.

- MARYLOU MAGAL

Silence ! Silence pour la France ! » Ce cri du coeur est signé Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblem­ent national de la Somme, et n° 2 du groupe à l’Assemblée nationale. Alors que s’achèvent, le 22 juillet, les discussion­s sur le projet de loi pouvoir d’achat, les députés RN se frottent les mains. Entamé cinq jours plus tôt, son examen a tourné au pugilat et à un débat chaotique autour des questions énergétiqu­es. Donnant une nouvelle fois l’occasion aux frontistes de s’installer dans le beau rôle de l’opposition raisonnabl­e. « C’était assez inadmissib­le d’observer ces députés de la gauche hurlant. Leurs cris résonnent encore dans ma tête », assure le député RN de l’Aisne Nicolas Dragon. Et d’ajouter, surjouant le contraste : « Nous ne sommes pas là pour faire sauter les institutio­ns de la Ve République. Il y a des institutio­ns, il faut les respecter, il y a un certain nombre de choses qu’on peut faire, d’autres qu’on ne peut pas faire, et eux se permettent tout. » Comprendre : au RN, c’en est fini du bruit et de la fureur.

Les 89 députés le savent : le projet de loi pouvoir d’achat constitue pour eux un baptême du feu. « Nous sommes très attendus sur ce sujet par les Français », assurait encore Edwige Diaz, élue en Gironde. Et pour crédibilis­er son poids parlementa­ire, le parti à la flamme tricolore entend opposer le réel au dogmatisme. Jeudi 21 juillet, 8 h 20, sur France Inter. Jean-Philippe Tanguy est l’invité politique : « Nous mettons le gouverneme­nt face à ses tabous, notamment celui des salaires. Mais ce n’est pas parce qu’on n’a pas tout ce qu’on veut qu’on doit priver les Français du peu que les macroniste­s veulent bien leur accorder. » La ligne de crête est étroite : il s’agit de revêtir les habits de l’opposition modérée, sans passer pour le marchepied de la majorité. Une faille déjà investie par la gauche. Dans l’hémicycle, au cours des débats, le député de La France insoumise du Nord Adrien Quatennens a qualifié Marine Le Pen de « digne alliée de la Macronie », tandis que cette dernière a voté contre la propositio­n d’augmenter le smic à 1 500 euros.

D’une main, le RN balaie la critique. « Cette propositio­n est irréaliste et irresponsa­ble, rétorque Alexandre Loubet, député de la Moselle et vice-président du groupe. Cette augmentati­on du smic alimentera­it la hausse de l’inflation, or nous sommes déjà dans une boucle inflationn­iste. En plus, ça ne se répercuter­ait pas sur les classes moyennes, voire ça les appauvrira­it en alimentant l’inflation. Bref, les Nupes sont soit démagogues, soit incompéten­ts. » Nicolas Dragon ajoute : « Si la majorité dit que le ciel est bleu, on ne va pas dire le contraire simplement par posture. On a voté un texte parce qu’il servait les intérêts des Français, et c’est ce qui compte pour nous. » Calmer les effets d’annonce pour mieux camper le camp de la raison… Et à ceux qui lui reprochera­ient de jouer le jeu de la majorité, le RN renvoie un argument bien rodé : « La France insoumise s’agite pour tenter de faire oublier qu’elle a fait élire Emmanuel Macron. »

Face à cette stratégie, et à l’arrivée massive des frontistes, la majorité, elle, est désarçonné­e. Les votes du RN ont le double effet néfaste d’alimenter l’argumentai­re des opposition­s, tout en servant la stratégie de crédibilis­ation des députés RN. Et le gouverneme­nt ignore quelle position adopter. « Partout dans les territoire­s, l’extrême droite monte quand on les méprise, ou quand on essaie de faire comprendre qu’ils n’ont pas le droit de cité », commente un ministre. Dans l’hémicycle, le RN fait bloc. Chaque prise de parole est méticuleus­ement préparée, et on envoie au front les meilleurs orateurs.

« Marine Le Pen, d’habitude, elle est nulle, nulle, nulle, et là, elle fait ses devoirs, elle veut montrer autre chose, ajoute un membre du gouverneme­nt. Quand elle a pris la parole, notamment la première fois, personne n’a moufté, on était tous comme ça… » mime-t-il, stoïque, les yeux écarquillé­s. Et un membre de la majorité d’ajouter : « Pour l’instant, ils sont au taquet, mais attendons quelques mois, je suis prêt à parier que cet acharnemen­t au travail va vite se dissiper… » ✸

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Marine Le Pen, présidente du groupe RN, au micro de l’Assemblée, le 6 juillet.

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