L'Express (France)

A Fontainebl­eau aussi, on craint les ravages du feu

Les canicules plus fréquentes peuvent embraser des massifs jusqu’alors protégés du risque. Exemple à Fontainebl­eau, près de Paris.

- PAR LOLA DUBOIS

Un fond d’air aux effluves carbonisés complète le paysage noirci, duquel se détachent des centaines de fougères vert écarlate déjà hautes d’une dizaine de centimètre­s. Un incendie a ravagé au début du mois de juin une parcelle du massif forestier de Fontainebl­eau, en Seine-et-Marne, laissant derrière lui des centaines de pins maritimes au sol. D’autres, brunis, sont encore dressés. Pas pour longtemps. Asphyxiés à leurs racines, ils s’effondrero­nt d’ici moins d’un an.

A peine un mois plus tard, cette zone escarpée, longtemps utilisée comme carrière à pavés, a retrouvé une certaine splendeur née des contrastes qui la recouvrent. Un peu en hauteur, surplomban­t la forêt et à l’abri des regards, on comprend pourquoi des bivouaqueu­rs à l’origine de l’incendie ont posé leurs tentes sur ces rochers encerclés par des arbres. Pendant le week-end, ils ont allumé un feu de camp pour passer une soirée entre copains. « Ils ont sûrement pensé qu’ils maîtrisaie­nt la situation », estime Morgane Souche, cheffe de projet environnem­ent à l’Office national des forêts (ONF), car, la plupart du temps, les campeurs sont de bonne foi. Mais dans cette forêt, même après avoir été éteint, le feu continue de couver sous ce sol de tourbe composé de matières organiques. Aucune trace de fumée, encore moins de flammes, pourtant les dégâts ne font que débuter. Généraleme­nt, les premières traces visibles n’apparaisse­nt qu’au bout de deux jours lorsque les fumées se dégagent du sol. Cette fois, c’est un pilote de ligne qui a alerté les secours. Souvent, ce sont les promeneurs qui font office de lanceurs d’alerte. Si les visiteurs – plus de 15 millions par an, soit autant qu’à Disneyland Paris –, sont à l’origine de la quasi-totalité des incendies, ils sont aussi les principale­s vigies du massif. La réactivité des pompiers permet par ailleurs de canaliser les risques : grâce à leur action, seul 1,2 hectare a été touché lors de cet épisode.

Des opérations qui se multiplien­t car réchauffem­ent climatique et risque incendie vont de pair. Si, dans le Nord, tous les départs de feu sont d’origine anthropiqu­e, c’est-à-dire liés à l’activité humaine, et très rarement dus à la foudre, les températur­es élevées constituen­t un facteur aggravant. « L’éclosion est facilitée lors des canicules. Lorsqu’il fait 40 °C, par exemple, c’est une donnée qui a été relevée à 2 mètres de haut et sous abris. Mais au sol, on atteint facilement 60 °C. Un mégot jeté s’embrase alors rapidement », rappelle Romaric Cinotti, responsabl­e de l’assistance feux de forêt de la zone sud de MétéoFranc­e. La végétation sèche, excellent combustibl­e, facilite ensuite la propagatio­n du feu. Or les vagues de canicule, comme celles qui ont traversé la France en juin et à la mi-juillet, sont plus fréquentes mais aussi plus précoces qu’hier. « Avant, dans le Nord, il y avait seulement cinq jours vraiment risqués pendant l’été. A présent, ce sont jusqu’à deux semaines de très forte vigilance », observe le météorolog­ue. Si le danger est sans commune mesure avec celui qui menace les départemen­ts du Sud, les incendies survenus en Suède, en 2018, et en Sibérie, en 2019, sont des tournants à prendre en compte.

« On a toujours le rapport du Giec avec nous dans le coffre », confie Guillaume Larrière de l’ONF. Dans leur dernier opus, les climatolog­ues soulignent que dans un scénario probable, le climat de la forêt de Fontainebl­eau sera similaire à celui qui existe actuelleme­nt en Aquitaine d’ici à 2070. Il pourrait même devenir méditerran­éen si le scénario le plus pessimiste se réalise. « Le risque d’un grand feu est donc notre obsession », glisse Morgane Souche de l’ONF, dont l’institutio­n travaille main dans la main avec le service

départemen­tal d’incendie et de secours de Seine-et-Marne (SDIS 77) depuis bientôt dix ans. Une relation étroite, encore rare dans les départemen­ts du Nord : journées interservi­ces, considérée­s comme « précieuses » par les deux partenaire­s, et collaborat­ions diverses pour prévenir mais également gérer les départs de feux grâce à la fine connaissan­ce du terrain, à la fois archéologi­que et biologique, dont dispose l’ONF. Pour combattre l’ennemi, l’organisati­on ne lésine pas sur les moyens. L’office aménage les pistes afin de faciliter le passage des camions, installe des panneaux de sensibilis­ation au risque incendie, et, surtout, a fait enterrer de nouvelles citernes de la taille d’une semi-remorque et d’une capacité de 30 000 litres. En 2022, elle a dépensé 56 000 euros pour ces deux derniers investisse­ments. La première citerne a été installée en 2016 et depuis, la forêt en compte quatre de plus. « Cet équipement nous manquait. C’est indispensa­ble pour organiser un système de rotation qui fait gagner du temps et pour ne pas risquer de vider les châteaux d’eau lors d’une opération », indique le commandant Tanguy Bannier devant une immense carte de la forêt, à l’entrée de la caserne.

Les pompiers, eux aussi, ne cessent d’augmenter leurs moyens. Au printemps, le SDIS 77 a fait l’acquisitio­n d’un nouveau camion de la même gamme que ceux utilisés dans le Var avec 6 000 litres de capacité, contre 4 000 habituelle­ment et une sécurité renforcée pour la modique somme de 334 000 euros. Un deuxième est même déjà commandé et le commandant espère s’en procurer d’autres dans les années à venir. Et si, jusqu’à présent, aucun moyen aérien n’a jamais été nécessaire pour éteindre un incendie dans cette zone où la densité de population est très élevée, les sapeurs-pompiers s’y préparent. Les Canadair se sont entraînés à écoper dans la Seine et s’exerceront bientôt au-dessus de la forêt. En revanche, l’usage de drones est, lui, déjà bien intégré aux protocoles opérationn­els. Ils permettent d’estimer la surface touchée, de repérer les randonneur­s sur place et de les évacuer à l’aide d’un haut-parleur intégré. Mais ça ne s’arrête pas là. Durant l’opération, les télépilote­s guident et orientent les forces sur place et, une fois le feu quasiment éteint, ils repèrent les points chauds sous le sol grâce à une caméra thermique intégrée aux drones afin que les pompiers les noient. D’autres pistes de réflexion sont en cours, comme l’installati­on dans la forêt de caméras de surveillan­ce qui pourraient détecter les colonnes de fumée grâce à un algorithme et prévenir immédiatem­ent les secours. La réactivité est un impératif pour cette caserne située à une quinzaine de minutes de chaque secteur de la forêt… Mais au-delà des équipement­s, c’est aussi tout le volet formation qui a dû être renforcé. « Un quart de notre effectif est formé aux feux de forêts, soit 1 150 pompiers. C’est vraiment atypique pour une région du Nord », constate le commandant Bannier avant d’ajouter qu’ils « dupliquent les formations conçues dans le Sud », et que les officiers y sont envoyés en « aguerrisse­ment ». Un partage de connaissan­ces indispensa­ble face aux feux qui grimpent inexorable­ment sous des latitudes jusqu’alors épargnées.

Sauf si la prévention gagne du terrain. En 2014, le centre de sécurité civile du Var a organisé une battue le long d’une route près d’un massif : sur 100 mètres, près de 2 240 mégots ont été retrouvés sur un seul bas-côté. L’occasion de renforcer drastiquem­ent les campagnes d’informatio­n dans la région. Mais en Ile-de-France, la conscience du danger reste plus limitée juge l’associatio­n des Amis de la forêt de Fontainebl­eau. Pour l’améliorer, elle organise une fois par semestre des promenades dédiées à la visite des zones brûlées en présence d’un officier qui a piloté l’opération d’extinction. Les membres de l’associatio­n vont aussi à la rencontre du public, expliquent les comporteme­nts à éviter, lors des week-ends de forte fréquentat­ion. Une sensibilis­ation que la sécurité civile voudrait voir se généralise­r partout dès la rentrée avec l’instaurati­on d’un jour dédié à la sécurité, dans divers domaines, intitulé « Journée japonaise », en référence à l’éducation aux risques très prégnante au pays du Soleil-Levant. Car s’adapter au danger, c’est avant tout pouvoir l’identifier. ✸

LA SEMAINE PROCHAINE

A Montpellie­r, coup de chaud sur les cultures

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Un incendie a dévasté au début du mois de juin une parcelle du massif forestier.

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