L'Express (France)

A qui appartient l’espace ?

En vertu des traités signés dans les années 1960, personne n’est en droit de s’approprier un territoire spatial. Mais les esprits sont en train de changer.

- STEFAN BARENSKY

Le retour prochain des Etats-Unis sur la Lune et le probable débarqueme­nt simultané de la Chine ont poussé Washington à préparer un cadre juridique sous la forme des accords Artemis. A la base, ceux-ci réaffirmen­t les grands principes du « traité de l’espace », rédigé au plus fort de la course aux étoiles pour encadrer l’exploratio­n et l’utilisatio­n de « l’espace extra-atmosphéri­que, y compris la Lune et les autres corps célestes ». Ces questions légales sous-tendent les origines même de la conquête spatiale. Dès 1956, l’administra­tion Eisenhower avait donné la priorité à l’exploratio­n scientifiq­ue pacifique, afin de créer un précédent juridique permettant à ses futurs satellites espions de survoler tous les pays depuis l’orbite. A la surprise générale, ce précédent a été fourni sur un plateau par les Soviétique­s.

En 1959, l’ONU s’est dotée d’un Comité des utilisatio­ns pacifiques de l’espace extra-atmosphéri­que, qui a jeté les bases du droit spatial. Le « traité de l’espace » a été signé et ratifié par Washington, Moscou et Londres, en 1967. Pas moins de 109 autres Etats en ont fait autant depuis. Le texte stipule que nul Etat ne peut s’approprier l’espace exo-atmosphéri­que. En 1979, un traité de la Lune proposait que tout corps céleste appartienn­e à la communauté internatio­nale, mais il est demeuré lettre morte.

A la manière des eaux internatio­nales, l’espace, la Lune, Mars et les astéroïdes sont res nullius : ils n’appartienn­ent à personne. Il est impossible de s’approprier une zone de pêche ou de forage hors des eaux territoria­les, mais rien n’empêche d’y pêcher ou d’y forer, ce qui n’a pas échappé à certains entreprene­urs ambitieux.

En 2015, les Etats-Unis ont écorné le traité de 1967 en affirmant qu’ils ne s’approprier­ont nul territoire spatial, mais que les entreprise­s américaine­s pourront commercial­iser les ressources qu’elles parviendro­nt à en extraire. Le Luxembourg a aussitôt adopté une législatio­n similaire pour devenir le pôle européen dans la recherche sur l’exploitati­on des astéroïdes.

Les accords Artemis introduise­nt deux notions nouvelles : les sites historique­s de l’exploratio­n passée, comme ceux des alunissage­s d’Apollo, devront être sanctuaris­és, mais il faudra aussi négocier des zones d’exclusion et des « zones de sécurité » autour des installati­ons scientifiq­ues pour éviter de perturber leur activité. Vingt pays, dont la France, ont déjà signé ces accords, qui ne relèvent pas de l’ONU. La Russie et la Chine ont annoncé qu’elles n’en feraient rien. Moscou dénonce la création d’un système favorable aux Etats-Unis et Pékin les compare aux traités inégaux que lui ont imposés les puissances coloniales au xixe siècle. Il suffira en effet d’être le premier à poser une installati­on scientifiq­ue permanente au pôle Sud lunaire, où se concentren­t les réserves en eau, pour demander que les autres ne s’approchent pas trop, et donc ne puissent eux aussi bénéficier de cette ressource essentiell­e.W

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