Aurélien Pradié, le malaimé qui monte à droite
Le n° 3 de LR, chantre d’une droite sociale, pourrait être candidat à la présidence du parti à l’automne. Il doit composer avec moult adversaires.
Quels sont vos points forts et faibles ? » Nous ne sommes pas dans un séminaire d’entreprise, mais à une réunion de députés Les Républicains (LR). Fin juin, plusieurs élus de la jeune génération se réunissent pour choisir leur candidat à la présidence du groupe à l’Assemblée. On passe en revue les prétendants. Fabien Di
Filippo : trop clivant. Pierre-Henri Dumont : réseau parlementaire insuffisant. Vient le tour d’Aurélien Pradié. Un consensus émerge : l’élu du Lot de 36 ans n’a pas le profil du meilleur camarade. Pas le genre à taper dans le dos de ses collègues. Et puis il nourrit d’autres ambitions. Sauf surprise, le n° 3 de LR sera candidat à la présidence du parti lors du congrès des 4 et 11 décembre. Il y affronterait alors Eric
Ciotti, favori du scrutin. A droite, on attend le jeune loup de pied ferme. « Il a une cible dans le dos », anticipe une dirigeante LR.Ainsi va la carrière d’Aurélien Pradié. Son ascension météorique a pour corollaire un dense réseau d’ennemis. « Détestable », « individualiste », « brutal », « arrogant »… A droite, il suffit de se baisser pour trouver des contempteurs du député du Lot.
« Détestable », « brutal »,« arrogant »… Ses contempteurs sont légion chez LR
Pourquoi tant de haine ? Sa voix douce et son accent chantant ne doivent pas tromper. L’homme est du genre puncheur. Ses convictions s’affirment souvent au moyen d’attaques sèches. « Je peux être dur, mais autant avec moi qu’avec les autres, se défend-il. L’hypocrisie sociale, je ne sais pas faire. » Doux euphémisme. En 2019, l’apôtre du renouvellement baptisait son parti « l’Ehpad ». Grincement de dentiers chez certains. En 2020, il répliquait à la demande du sénateur Bruno Retailleau d’organiser une primaire, à laquelle il était opposé : « A l’âge qu’il a, ce n’est pas bien de s’énerver, de s’exciter comme il le fait. » Le défenseur d’une droite sociale raille la ligne libérale-conservatrice de François-Xavier Bellamy – « c’est le Tea Party » –, et a guetté l’attitude de ses collègues envers Emmanuel Macron. Le trésorier de LR Daniel Fasquelle a été baptisé en juin « trésorier du comité de la lèche » après son soutien enthousiaste au chef de l’Etat au second tour de la présidentielle. « Son côté homme pressé fait peur aux cadres en place qui attendent leur tour depuis longtemps, défend le député de l’Aisne Julien Dive. Mais il a surtout du talent, ce qui crée de la jalousie. »
Solitaire ou individualiste ? La frontière entre les deux est ténue. L’intéressé penche pour la première hypothèse, ses rivaux pour la seconde. A droite, certains ont peu goûté son « tour de France de l’écologie », quand son groupe parlementaire lançait une « task force environnement ». Les proches de Valérie Pécresse l’accusent d’avoir déserté
son poste de porte-parole de la candidate à l’Elysée après le meeting du Zénith. Pradié dément et assure avoir réalisé une quarantaine de déplacements en France.
Le député attribue ce caractère à son histoire personnelle. Son père, chef d’entreprise, devient hémiplégique après un AVC quand il n’est qu’adolescent. La cellule familiale se resserre, les amis s’éloignent. La politique le happe. L’étudiant en droit s’engage aux cantonales de 2008 face à son ancien instituteur. Il devient le seul conseiller général UMP du Lot, terre de gauche. « J’ai grandi politiquement seul, assure-t-il. Je n’ai eu aucun mentor dans le Lot. » La suite de l’aventure est linéaire : la mairie de Labastide-Murat en 2014, l’Assemblée trois ans plus tard. Le secrétariat général de LR, enfin, en 2019. L’homme explique avoir le « tempérament de ses convictions ». Apôtre d’une droite sociale, il appelle son camp à ne pas s’enfermer sur les sujets régaliens. Son modèle : la campagne de Jacques Chirac de 1995 autour de la fracture sociale. De l’épopée de Sarkozy en 2007, il retient davantage le « travailler plus pour gagner plus » que l’ode à l’identité nationale. Aurélien Pradié souhaite que le groupe LR consacre sa première niche parlementaire à la santé plutôt qu’à l’immigration. « C’est en traitant les bobos du quotidien que l’on se forge une vision de la société, estimet-il. Pas en faisant des tribunes dans le Figaro Vox.»
A ceux qui le renvoient à sa terre d’élection, le député jure déployer une stratégie nationale. « Avec Eric Ciotti, nous sommes proches idéologiquement, mais nous avons un positionnement différent. La tactique qui consiste à ne parler qu’à un noyau dur, on a vu ce que cela pèse lors de la présidentielle. » L’analyse laisse sceptique en interne. La ligne Pradié ? Au mieux une « sensibilité », au pis une posture, raillent des élus. « Si on ne parle pas d’immigration ou d’insécurité, le RN va nous remplacer », alerte une cadre. Autre cheval de bataille : le renouvellement. Aurélien Pradié se garde d’ajouter le qualificatif de « générationnel », mais l’intention est limpide. A l’ère des Bardella et Attal, la droite doit piocher dans son vivier de jeunes élus pour se régénérer. « Chez les adhérents, le sujet du renouvellement est un ressort plus puissant que celui de la ligne », assure-t-il. On ne prend pas un parti seul. Alors, Aurélien Pradié consulte. Il a échangé avec Gérard Larcher, Laurent Wauquiez, Eric Ciotti et Agnès Evren. Ses relations se sont aplanies avec Bruno Retailleau. Il s’entend bien avec Brice Hortefeux, qui loue son « talent ». L’élu joue ostensiblement la carte du collectif. « Je vais surprendre tout le monde, jure-t-il. J’ai envie d’aventures collectives. Je suis plus apaisé depuis ma réélection. » Son ascension raconte l’époque. Une génération d’élus ne veut plus attendre patiemment son tour. La trajectoire éclair de Macron a levé les inhibitions. L’alliance de la jeunesse et de l’ambition peut alors produire un effet répulsif. Brice Hortefeux a récemment délivré deux conseils à Aurélien Pradié : 1) « Elu jeune, on s’use jeune » ; 2) « Attention quand tu t’en prends aux plus âgés, s’ils sont toujours là, c’est qu’ils sont plus habiles et plus méchants. » ✸