L'Express (France)

Gabriel Attal, la pépite de l’école du vice

La trajectoir­e impression­nante et le comporteme­nt du jeune ministre du Budget font de lui l’une des personnali­tés les plus clivantes au sein du gouverneme­nt.

- ERWAN BRUCKERT

Gabriel ne s’est pas fait que des potes, parce que… Voilà, il est comme il est, mais c’est le meilleur. Point. » En une phrase murmurée tout bas, mêlant euphémisme et hyperbole, Cédric O, ancien conseiller d’Emmanuel Macron à l’Elysée et secrétaire d’Etat chargé du Numérique, a peut-être trouvé la meilleure formule pour décrire la bête politique Gabriel Attal. A 33 ans, le tout nouveau ministre des Comptes publics, à la trajectoir­e saisissant­e, est probableme­nt la plus belle réussite de la Macronie : de primo-député à porte-parole du gouverneme­nt en l’espace de trois ans, il est sorti renforcé de ce rôle ingrat de paratonner­re, en pleine tempête du Covid. Tous, sans exception, saluent la performanc­e. « Il est brillant, bosseur, éloquent. Quand il va sur un plateau, vous pouvez être parfaiteme­nt serein, vous savez que ça va bien se passer : c’est en cela qu’il est reconnu par tout le monde », chantent plusieurs ministres en canon. Pourtant, lui-même le sait et s’en accommode, il est difficile de trouver chez les marcheurs personnage plus clivant. La réussite n’attire pas que des amis, c’est une règle immuable en politique comme ailleurs. Mais il ne s’agit pas seulement de valeurs ou de positionne­ment idéologiqu­e : « Gabriel, il est comme il est », pour ses détracteur­s, cela concerne avant tout les tripes. Et même, l’âme.

Au cours d’une discussion portant sur l’arrivée d’Attal à Bercy, un proche de Bruno Le Maire, qui ne tarissait pas d’éloges à propos du « très talentueux Gabriel », nous précisait tout de même une petite chose qui, semble-t-il, lui tenait à coeur : « On donne une très grande liberté aux ministres délégués et aux secrétaire­s d’Etat, mais, en contrepart­ie, on leur demande la plus grande transparen­ce.

La règle est la suivante : on ne veut rien apprendre par la presse. » Qu’est-ce que cela peut-il cacher ? Dans la millisecon­de, on nous éclaire. Gabriel Attal jouit chez ses collègues du gouverneme­nt, qu’ils viennent de la droite, du centre ou de la gauche, d’une réputation peu flatteuse. Elle n’enlève rien à ses qualités, précisent-ils d’emblée, mais on perçoit chez eux, presque peinés, une forme de méfiance qui frôle parfois la colère : le brillant trentenair­e ne serait pas un camarade exemplaire. Aucun n’est dupe de la violence de la compétitio­n politique : le choc des ambitions personnell­es a toujours engendré son lot d’indélicate­sses, ils ont assez de bouteille pour les encaisser. Mais le natif de Clamart (Hauts-de-Seine) semble avoir largement dépassé les bornes, et ce depuis longtemps, tant il déchaîne les mêmes réactions.

« Lui et son équipe disent beaucoup de mal des gens. Beaucoup… Beaucoup. Gab, c’est le champion des “off ” assassins donnés aux journalist­es pour fumer ses petits copains du gouverneme­nt ; pour résumer, c’est le champion des langues de vipères », explique un ministre expériment­é, qui a pourtant croisé un sacré paquet d’animaux politiques au fil de sa carrière. Personne ne lui reproche de tracer son chemin, qu’on lui promet pavé de réussites, mais d’avoir adopté aussi vite que violemment une façon de faire grossière et utilitaris­te. Beaucoup tancent sa capacité à changer de partenaire de confiance, d’allié, au gré des propres tactiques. Un autre jeune membre du gouverneme­nt, qui apprécie pourtant sa compagnie et ses conseils, avoue rester sur ses gardes : « Il a une bonne bouille, mais vous sentez qu’il n’est pas franc du collier, qu’il ne la joue pas corpo. C’est la version hardcore de ce qu’on apprend au Mouvement des jeunes socialiste­s : à l’école du vice, Gabriel devait être major de promo. »

Nul doute qu’Attal souffre de son statut de premier de la classe. Combien, dans la vieille garde, l’ont découvert juvénile collaborat­eur de Marisol Touraine au ministère de la Santé, pour le voir désormais, non sans une pointe d’aigreur, figure de proue couronnée de succès ? Certains n’ont pas la mémoire courte : « Il n’était pas connu pour être le collab qui rappelait le plus, qui traitait le mieux les parlementa­ires », glisse un ministre. Si le passé lui fait parfois défaut, l’avenir lui vaut aussi son lot d’ennemis. Puisque le macronisme peut mourir dans cinq ans, peut-être même plus tôt, ses écuries présidenti­elles se préparent pour récupérer le gâteau, ou a minima une moitié. Sur le flanc droit, la course est lancée : dans leur couloir respectif, Edouard Philippe, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire se font déjà des queues de poisson dans leur marathon pour 2027. Sur le flanc gauche en revanche, on y va à tâtons, mais on y va quand même. Gabriel Attal, avec son joli curriculum vitae, s’imaginerai­t bien devenir le leader

« Gab, c’est le champion des “off” assassins […], le champion des langues de vipères »

d’une gauche sociale-démocrate reconstitu­ée, demain orpheline d’Emmanuel Macron et en manque de personnali­tés charismati­ques. « Ah, parce que Gabriel est de gauche ? Si on le rencontrai­t aujourd’hui, il faudrait un sacré oeil de lynx pour s’en rendre compte ! » se bidonne un ministre issu d’un parti allié à LREM. Il est vrai que le rôle de porte-parole du gouverneme­nt ne favorise pas la constructi­on d’une identité politique claire, encore moins quand il faut, à chaque instant, essayer de tenir les deux bouts de l’omelette du « en même temps ». D’autant qu’Attal n’a pas encore démontré – et il est loin d’être le seul dans sa famille politique – qu’il peut être un théoricien autant qu’un communican­t. Que pense-t-il, au fond ? De quels pas de côté est-il capable ? Peu parviennen­t à répondre. Un autre collègue de l’équipe d’Elisabeth Borne le résume dans un compliment aux airs de belle vacherie : « Au porte-parolat, il a mieux fait le job que Sibeth [NDLR : Ndiaye], il n’y a pas photo. Sans doute parce qu’il a moins de conviction­s et qu’il est plus formaté qu’elle. » Il faut prendre ce qu’il y a à prendre…

Seulement, il n’est pas le seul à vouloir accrocher à sa veste quelques galons de plus. Entre les anciens du Parti socialiste, une guerre génération­nelle est en passe de s’ouvrir. Le tout frais ministre des Transports Clément Beaune, élu député pour la première fois dans la VIIe circonscri­ption de Paris, cache de moins en moins, pour ne pas dire plus du tout, son intention d’incarner l’aile gauche de la Macronie pour les années à venir. Les deux hommes, avec leurs six années d’écart, ne partiront pas en vacances ensemble. Ni même en week-end. Ni même en covoiturag­e. Avant l’annonce du nouveau gouverneme­nt, ils se livraient une féroce bataille : tous deux lorgnaient le ministère du Budget pour gagner en épaisseur politique et se trouver au coeur du réacteur. « C’est un concours permanent de saloperies entre les deux », chuchote un ministre qui les connaît bien. Selon lui, si les deux jeunes ambitieux jouent des coudes et mettent en avant leurs conquêtes locales – le cadet dans les Hauts-de-Seine, l’aîné au sein de la capitale -, c’est parce qu’ils partagent un même objectif : ravir à Anne Hidalgo la mairie de Paris en 2026. Convaincus que l’élection se jouera au centre gauche, ils connaissen­t parfaiteme­nt le fonctionne­ment de leur président darwinien : entretuez-vous – dans le calme –, la sélection naturelle fera le reste et sacrera le vainqueur.

Et si Gabriel Attal rêvait encore plus grand ? Son modèle au Château a fait valser les normes politiques, les records de précocité ; alors, élevé à bonne école, pourquoi pas lui ? N’est-il pas l’une des rares figures à avoir émergé lors du premier quinquenna­t ? Un pilier de la Macronie version 20172022 nous l’assurait entre les deux tours des élections législativ­es : « Gabriel pense qu’il sera candidat en 2027. » Est-ce si insensé? Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ne sontils pas passés eux aussi par le Budget ? Est-il réellement trop tôt de se présenter à la présidenti­elle à 38 ans ? Un ministre reconduit en mai dernier au sein du gouverneme­nt Borne ne balaie pas l’hypothèse : « Je ne parierais pas mes économies sur le fait qu’il tentera le coup, il peut se passer beaucoup de choses d’ici là. En revanche, je suis persuadé qu’il se dira à un moment donné “pourquoi pas moi ?”. Vous savez, quand on n’a aucune limite… » Un défaut pour nombre de ses camarades, mais sans doute la meilleure des qualités pour un grand homme politique. ✸

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