L'Express (France)

Halyna Kozatchenk­o

La maire courage qui patrouille à vélo

- C. M. (KIEV)

Au premier jour de l’invasion, Halyna Kozatchenk­o est réveillée par un appel. « Ça a commencé, les tanks sont là », dit la voix amie à l’autre bout du fil à la maire de Fenevychi, un village où s’alignent les maisons en bois et les nids de cigognes, entre Kiev et la frontière biélorusse. « Je connais chacun des 1 202 habitants, je sais qui rentre et qui sort, quand et pourquoi », se targue l’édile, qui, cette nuitlà, part évaluer la situation. Sur la route, les tanks défilent. L’élue les filme en cachette, « comme une partisane ».

Les jours passent et les colonnes continuent de défiler. Les Russes installent un checkpoint à l’entrée du village. Halyna demande à ses administré­s de se faire discrets. « Face à une telle tragédie, les gens ont besoin de leaders et d’ordre », estime cette quinquagén­aire à poigne, aux cheveux bruns coupés court. Pendant les trenteneuf jours d’occupation, le drapeau ukrainien continue de flotter sur la mairie et, tous les jours, elle patrouille sur son vélo bleu. Une tournée audacieuse, qui donne une dose quotidienn­e d’espoir aux résidents de Fenevychi.

Le 3 mars, l’édile part en urgence vérifier l’état d’une maison bombardée. Des soldats russes lui barrent la route. « Je suis la maire, c’est moi la cheffe ici », lancetelle avec assurance. « On vous a cherché hier », répond un militaire. « Vous n’avez pas dû bien chercher ! Regardez, moi je vous ai trouvés ! » rétorquete­lle. Le commandant de l’unité, Shamil, un Russe du Daguestan, glisse à son adjoint : « J’ai fait trois guerres, mais des femmes comme ça, je n’en avais encore jamais vu… »

Cette première rencontre est pour Halyna le début d’un jeu de bluff, de mensonges et de négociatio­ns avec l’occupant. Un jour, elle obtient d’emmener une femme enceinte accoucher à l’hôpital voisin. La route est dangereuse. Elle parcourt 18 kilomètres avec un drapeau blanc accroché au véhicule. Sa voiture croise une colonne russe. Des dizaines de soldats braquent le groupe. « J’ai crié “Shamil, Halyna, hôpital !” Ça a marché. J’ai pensé que si je montrais un signe de faiblesse, ils nous tireraient dessus », racontetel­le.

A plusieurs reprises, les Russes tentent de s’installer au village. Ils veulent transforme­r l’école en base militaire. A chaque fois, Halyna trouve des subterfuge­s pour les en dissuader en leur proposant des lieux plus éloignés, ou en rouspétant. Un jour, de jeunes soldats déboulent à la recherche de femmes et de vodka. « Y atil écrit bordel sur le panneau ? » s’insurge l’élue auprès du commandant. « On n’a pas de filles ni de vodka, il y a que des vieux ici ! » mentelle. « Je ne sais pas pourquoi les soldats m’ont écoutée, mais je sais que si je ne leur avais pas parlé, notre village n’existerait plus », dit Halyna, qui avait pour seuls soutiens une icône orthodoxe, des anxiolytiq­ues et un courage qu’elle ignorait posséder. ✸

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