L'Express (France)

Volodymyr Rashchuk

L’acteur devenu chef de bataillon

- C. P. (KIEV)

Le colosse barbu parle d’une voix calme, et vous enveloppe d’un regard qui a vu l’horreur, mais n’a rien perdu de son humanité. Après un mois de terribles combats à Severodone­tsk, dans le Donbass, dont les Ukrainiens ont fini par se retirer face au déluge de l’artillerie russe, Volodymyr Rashchuk, 35 ans, est de passage à Kiev, en cette fin du mois de juin, pour faire examiner par un médecin une large blessure à l’avant-bras causée par un tir de sniper. Et assister à l’enterremen­t d’un de ses compagnons d’arme.

Aujourd’hui à la tête d’une unité de 142 hommes, Volodymyr était encore, il y a quelques mois, comédien pour le théâtre national de Kiev et acteur – il apparaît dans le film français La Revanche des crevettes pailletées, sorti cette année. Il décide de s’engager le 24 février, le jour du début de l’agression russe. « J’ai entendu des explosions à côté de chez moi, à Kiev. Il fallait que j’y aille, c’était une évidence », racontet-il en fumant cigarette sur cigarette. L’homme avait voulu rejoindre l’armée dès 2014, lors du conflit dans le Donbass, mais sa compagne était trop inquiète. Cette fois, elle a été d’accord et s’est même engagée comme volontaire dans la défense nationale.

« Je n’avais aucune expérience militaire. Mon seul atout, c’est que j’avais joué dans des films d’action : on m’avait montré quelques rudiments de technique militaire », sourit-il. Après une rapide formation, l’acteur est envoyé défendre Kiev, à Irpin et Boutcha. « C’est l’expérience la plus traumatisa­nte de ma vie. » Chargé de fouiller les maisons, il n’oubliera jamais cette cave où il a découvert une trentaine de corps de civils. Ils avaient été torturés, leurs mains étaient attachées, et les Russes avaient achevé chacun d’une balle. « Avoir vu toutes ces atrocités m’a incité à me rendre plus rapidement sur le front de l’Est », souffle-t-il. Révolté, il s’engage dans le bataillon Svoboda – un mot qui signifie « liberté » –, pour partir combattre dans le Donbass. A son arrivée à Severodone­tsk, le chef du bataillon est tué. Il est alors choisi par le groupe pour en prendre le commandeme­nt. La suite est éprouvante. « Pour moi, la bataille de Severodone­tsk, c’était comme être plongé au coeur du Mordor [NDLR : le fief du maléfique Sauron dans Le Seigneur des anneaux]. Les bombardeme­nts étaient continus. Nous avons compté : nous étions parfois la cible de plus de 400 tirs d’artillerie en une heure. »

L’ordre de se retirer tombe dans la nuit du 22 au 23 juin. « Il n’y avait plus aucun endroit pour se cacher, tout était en ruine. Impossible de rester plus longtemps, ou nous serions tous morts. Mais si on était partis avant, les Russes auraient pu avancer plus rapidement », glisse celui qui n’avait qu’une hâte au moment de notre rencontre : repartir défendre le Donbass. Pour éviter de nouveaux cauchemars à son pays. ✸

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