Aulx, oeils, travails… il y a des pluriels bien singuliers
5/5 Si seulement tous les noms prenaient un « s » au pluriel, la langue française serait simple. Hélas, les exceptions sont légion.
Ce sont en quelque sorte les vedettes de la catégorie. Comme chacun sait, bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou et pou prennent un « x » au pluriel, à la différence des autres mots en « ou » qui, eux, se terminent par un « s » : des trous, des clous, des filous et même des scoubidous (bidous-wouah !)… L’explication ? Sans entrer dans les détails, retenez simplement qu’en ancien français, les termes de la première liste comportaient un « l » mouillé : on écrivait ainsi « pouil » et « genouil ». Par la suite, ce « l » final a entraîné un « x », un peu comme dans vitrail devenant vitraux.
Ces mots en « ou » ne sont pas les seuls à faire exception à la règle selon laquelle le « s » est en français la marque du pluriel. Bien d’autres vocables jouent les rebelles, comme le montre cette énumération non exhaustive.
Les mots qui ont deux pluriels Encore plus sioux, si j’ose dire, certains termes poussent le raffinement jusqu’à posséder deux pluriels. Aïeul, par exemple, donne aïeuls quand il s’agit de nos grands-parents, mais aïeux quand on évoque l’ensemble de nos ancêtres. Subtilité encore avec ail, qui débouche sur la forme ails pour la plante, mais sur aulx pour le condiment. Plus poétique : ciel a pour pluriel ciels quand on parle de peinture (« les ciels de Léonard de Vinci »), de paysages (« les ciels de Provence ») ou de décoration intérieure (« les ciels de lit »). En revanche, cieux est de rigueur pour le firmament (« l’immensité des cieux ») ; l’univers religieux (« Notre Père, qui es aux cieux ») de même que dans certaines expressions (« partir sous d’autres cieux »). Citons enfin banal qui aboutit généralement à banals (« des propos banals ») mais à banaux dans son sens féodal – « à la disposition de tous » (« des fours banaux »). français en avait conservé deux, et qu’il nous en reste quelque chose : « oeil » correspond en fait à l’ancienne forme de « cas régime singulier » et « yeux » à l’ancien « cas régime pluriel ». Cela dit, oeils – oui, avec un « s » – se rencontre dans certains mots composés comme oeils-de-boeuf ou oeils-de-perdrix. On l’emploie également quand il revêt un sens technique (les oeils d’une voile ou des caractères d’imprimerie) ou encore… dans les conférences de rédaction de L’Express (où les oeils désignent les articles à caractère éditorial). A noter enfin que l’on distingue les clins d’oeil des clignements d’yeux, comme le remarque malignement le site Projet Voltaire. Il est encore bien des originalités dans notre lexique Cheval donne généralement chevaux, sauf dans l’expression chevau-légers. Orgue, délice et amour, masculins au singulier, deviennent féminins au pluriel (« un bel orgue, de grandes orgues »). Travail peut s’écrire travails quand on veut parler de « l’appareil servant à maintenir les grands animaux domestiques pour les ferrer ou les soigner » (ce qui, reconnaissons-le, n’arrive pas tous les jours) et il fut un temps où le pluriel de portail était portaux (je n’invente rien).
Autant d’exceptions qui conduisirent après-guerre un très haut fonctionnaire du nom d’Aristide Beslais, alors directeur de l’enseignement au ministère de l’Education nationale, à proposer une réforme radicale : la généralisation du « s » pour tous les pluriels, qu’il s’agisse des « bijous », des « cheveus » ou des « faus billets ». Il dut cependant battre en retraite face à l’opposition farouche des « amoureus » de la tradition…