L'Express (France)

Planning familial, de l’IVG à « enceint »

La polémique autour de l’affiche sur « l’homme enceint » est révélatric­e des querelles qui déchirent le monde féministe.

- PAR AGNÈS LAURENT P. 36.

contre-arguments s’engage sur la Toile. On s’invective, on s’échange des noms d’oiseaux. Beaucoup dénoncent une provocatio­n. Les plus extrêmes – souvent issus de la droite de la droite – demandent l’arrêt du versement de subvention­s à l’associatio­n. D’autres, issues des rangs féministes historique­s, s’interrogen­t sur ce nouveau pas vers un effacement de la « femme ».

Laurier The Fox, lui-même homme trans gay, est pris de court. Après tout, son dessin et trois autres ornent les murs des antennes du Planning familial depuis plus d’un an. Et il n’est, à ses yeux, en rien une provocatio­n. Depuis 2016, il n’est plus nécessaire d’avoir subi une opération chirurgica­le pour changer d’état civil. Un homme né femme qui aurait conservé ses organes génitaux peut donc bien être « enceint ». Voilà pour la rationalit­é. Mais l’affaire de l’affiche va bien au-delà. Elle interroge sur la philosophi­e du Planning familial, né sous la bannière de l’universali­sme, et réveille les récentes et violentes querelles dans le monde féministe et la société autour des questions de sexe, de genre, de transident­ité.

Le Planning n’en est pas à sa première secousse. Dès ses débuts en 1956 sous le nom de « Maternité heureuse », l’organisati­on est l’objet de passions et de critiques. Y compris en interne. A la fin des années 1960, elle se divise sur ses missions, les unes voulant se préoccuper uniquement de la mise en oeuvre de la loi Neuwirth de 1967 sur la contracept­ion, les autres prendre à bras-le-corps le combat pour l’avortement. Les plus anciennes militantes se souviennen­t aussi de murs qui tremblent à l’occasion de disputes sur la place à accorder aux hommes dans le mouvement. « Dès le début, il y a eu des tensions entre une ligne classique et de nouvelles revendicat­ions, souvent portées par la base contre l’avis des dirigeants », confirme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof et auteur de La Vie sexuelle en France (La Martinière, 2018).

Aujourd’hui, les discours féministes « classiques », universali­stes et laïques, s’opposent au militantis­me « intersecti­onnel » et aux défenseurs des personnes transgenre­s. Renouvelle­ment de génération­s, difficulté­s à trouver des bénévoles en nombre suffisant pour assurer les permanence­s des antennes locales, tentation pour certains groupes militants de porter leurs idées à travers une institutio­n aussi puissante et reconnue que le Planning familial… l’évolution s’est faite progressiv­ement. « La frange intersecti­onnelle est minoritair­e, mais elle crie plus fort que les autres, notamment en accusant ses adversaire­s d’être d’extrême droite. Du coup, les universali­stes se taisent ou quittent le navire. Et peu à peu les intersecti­onnels

— Planning familial, de l’IVG

à « enceint »

Les déroutants « chaussidou­s »

Les bonnes ondes des radios locales

s’est fait il y a une dizaine d’années », constate la sénatrice (PS) Laurence Rossignol, qui se dit pourtant « totalement solidaire » de l’associatio­n pour défendre le droit et l’accès à l’IVG « quelles que soient ses erreurs ». Le choix de vocabulair­e, comme « personnes menstruées » plutôt que femmes, ou le soutien à #NousToutes il y a un an lorsque le mouvement décide de ne plus relayer le décompte du collectif Féminicide­s par compagnons ou ex au motif qu’il n’intégrerai­t pas les victimes transgenre­s sont révélateur­s d’une rupture.

Loin d’être anecdotiqu­e, cette dernière touche au coeur même du combat féministe. « Les mots disent ce que l’on pense. C’est structurel », insiste Marguerite Stern, ex-initiatric­e du collectif des colleuses en France revendiqua­nt une vision universali­ste du féminisme. « On ne peut pas, sous prétexte de militantis­me et de volonté d’accueillir tout le monde, s’asseoir sur la biologie. Si on peut être enceint, c’est parce qu’on est une femme biologique­ment. La remise en cause de la science, c’est de l’obscuranti­sme, et ça, je ne peux pas », ajoute Janine Mossuz-Lavau. Elles ne sont pas les seules à se demander quel sens peut encore avoir le combat féministe s’il n’y a plus de « femmes » à défendre. « Avant, on était les sorcières, les mal-baisées, les hystérique­s, maintenant on n’est pas féministes parce qu’on ne soutient pas les trans », regrette une militante du collectif Féminicide­s par compagnons ou ex. Au sein même du Planning familial, le sujet ne fait pas l’unanimité. Lorsqu’en février 2020 Libération publie une tribune intitulée « Toutes des femmes » et défendant la place des transgenre­s dans les combats féministes, seules trois antennes du Planning figurent parmi les premiers signataire­s. « Chaque équipe a ses réflexions, ses cheminemen­ts. Certains débats sont menés plus profondéme­nt à certains endroits, avec des positions consensuel­les. A d’autres endroits, non », admet Danielle Gaudry, militante toujours active de la maison.

Mais les voix critiques hésitent à s’exprimer. Certes, une Janine Mossuz-Lavau

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Dans un contexte de menaces sur le droit à l’IVG (ici, une manifestat­ion de soutien à Paris en juillet), la controvers­e fragilise l’associatio­n.
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