Planning familial, de l’IVG à « enceint »
La polémique autour de l’affiche sur « l’homme enceint » est révélatrice des querelles qui déchirent le monde féministe.
contre-arguments s’engage sur la Toile. On s’invective, on s’échange des noms d’oiseaux. Beaucoup dénoncent une provocation. Les plus extrêmes – souvent issus de la droite de la droite – demandent l’arrêt du versement de subventions à l’association. D’autres, issues des rangs féministes historiques, s’interrogent sur ce nouveau pas vers un effacement de la « femme ».
Laurier The Fox, lui-même homme trans gay, est pris de court. Après tout, son dessin et trois autres ornent les murs des antennes du Planning familial depuis plus d’un an. Et il n’est, à ses yeux, en rien une provocation. Depuis 2016, il n’est plus nécessaire d’avoir subi une opération chirurgicale pour changer d’état civil. Un homme né femme qui aurait conservé ses organes génitaux peut donc bien être « enceint ». Voilà pour la rationalité. Mais l’affaire de l’affiche va bien au-delà. Elle interroge sur la philosophie du Planning familial, né sous la bannière de l’universalisme, et réveille les récentes et violentes querelles dans le monde féministe et la société autour des questions de sexe, de genre, de transidentité.
Le Planning n’en est pas à sa première secousse. Dès ses débuts en 1956 sous le nom de « Maternité heureuse », l’organisation est l’objet de passions et de critiques. Y compris en interne. A la fin des années 1960, elle se divise sur ses missions, les unes voulant se préoccuper uniquement de la mise en oeuvre de la loi Neuwirth de 1967 sur la contraception, les autres prendre à bras-le-corps le combat pour l’avortement. Les plus anciennes militantes se souviennent aussi de murs qui tremblent à l’occasion de disputes sur la place à accorder aux hommes dans le mouvement. « Dès le début, il y a eu des tensions entre une ligne classique et de nouvelles revendications, souvent portées par la base contre l’avis des dirigeants », confirme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof et auteur de La Vie sexuelle en France (La Martinière, 2018).
Aujourd’hui, les discours féministes « classiques », universalistes et laïques, s’opposent au militantisme « intersectionnel » et aux défenseurs des personnes transgenres. Renouvellement de générations, difficultés à trouver des bénévoles en nombre suffisant pour assurer les permanences des antennes locales, tentation pour certains groupes militants de porter leurs idées à travers une institution aussi puissante et reconnue que le Planning familial… l’évolution s’est faite progressivement. « La frange intersectionnelle est minoritaire, mais elle crie plus fort que les autres, notamment en accusant ses adversaires d’être d’extrême droite. Du coup, les universalistes se taisent ou quittent le navire. Et peu à peu les intersectionnels
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Les déroutants « chaussidous »
Les bonnes ondes des radios locales
s’est fait il y a une dizaine d’années », constate la sénatrice (PS) Laurence Rossignol, qui se dit pourtant « totalement solidaire » de l’association pour défendre le droit et l’accès à l’IVG « quelles que soient ses erreurs ». Le choix de vocabulaire, comme « personnes menstruées » plutôt que femmes, ou le soutien à #NousToutes il y a un an lorsque le mouvement décide de ne plus relayer le décompte du collectif Féminicides par compagnons ou ex au motif qu’il n’intégrerait pas les victimes transgenres sont révélateurs d’une rupture.
Loin d’être anecdotique, cette dernière touche au coeur même du combat féministe. « Les mots disent ce que l’on pense. C’est structurel », insiste Marguerite Stern, ex-initiatrice du collectif des colleuses en France revendiquant une vision universaliste du féminisme. « On ne peut pas, sous prétexte de militantisme et de volonté d’accueillir tout le monde, s’asseoir sur la biologie. Si on peut être enceint, c’est parce qu’on est une femme biologiquement. La remise en cause de la science, c’est de l’obscurantisme, et ça, je ne peux pas », ajoute Janine Mossuz-Lavau. Elles ne sont pas les seules à se demander quel sens peut encore avoir le combat féministe s’il n’y a plus de « femmes » à défendre. « Avant, on était les sorcières, les mal-baisées, les hystériques, maintenant on n’est pas féministes parce qu’on ne soutient pas les trans », regrette une militante du collectif Féminicides par compagnons ou ex. Au sein même du Planning familial, le sujet ne fait pas l’unanimité. Lorsqu’en février 2020 Libération publie une tribune intitulée « Toutes des femmes » et défendant la place des transgenres dans les combats féministes, seules trois antennes du Planning figurent parmi les premiers signataires. « Chaque équipe a ses réflexions, ses cheminements. Certains débats sont menés plus profondément à certains endroits, avec des positions consensuelles. A d’autres endroits, non », admet Danielle Gaudry, militante toujours active de la maison.
Mais les voix critiques hésitent à s’exprimer. Certes, une Janine Mossuz-Lavau