L'Express (France)

Angkor sous le rouleau compresseu­r chinois

La Chine construit un méga aéroport pour desservir le site archéologi­que, qui sera submergé par le tourisme. Et accroît son emprise sur le pays.

- PAR FRANÇOIS CAMPS (PHNOM PENH) Angkor

e va-et-vient est incessant. A 50 kilomètres à l’est de Siem Reap, le berceau des temples d’Angkor, des centaines de camions transporte­nt des quantités colossales de béton. Ici, la Chine construit en un temps record un nouvel aéroport internatio­nal qui desservira bientôt le site touristiqu­e. « Les travaux ont débuté en 2020, et depuis, de l’aube à la tombée de la nuit, par tous les temps, ils n’ont jamais cessé », témoigne Than, une agricultri­ce dont les plantation­s surplomben­t la piste d’atterrissa­ge fraîchemen­t bitumée. L’année prochaine, des hordes de touristes atterriron­t sur ce tarmac avant de se précipiter vers les splendeurs d’Angkor Vat. Le projet, financé par l’entreprise d’Etat chinoise Yunnan Investment Group, est démesuré : 880 millions de dollars pour artificial­iser 1 700 hectares de rizières (l’équivalent de l’aéroport d’Orly). L’objectif ? Accueillir 30 millions de visiteurs d’ici à 2030. En 2019, seuls 1,7 million de touristes ont transité par l’actuel aéroport de Siem Reap – géré par le français Vinci.

Depuis une décennie, Pékin accroît son influence dans le pays en multiplian­t les investisse­ments dans tous les domaines : infrastruc­tures, immobilier, casinos, et même le secteur militaire. Sur les six premiers mois de 2022, deux tiers des investisse­ments étrangers proviennen­t de Chine, selon la Banque mondiale. Dans la province

Lreculée de Koh Kong, au coeur de la jungle de Dara Sakor, un autre aéroport créé par l’empire du Milieu ouvrira prochainem­ent. Les casinos chinois pullulent déjà aux alentours. Plus à l’est, la première autoroute du pays, reliant la capitale Phnom Penh à la ville balnéaire de Sihanoukvi­lle, entrera en service en octobre. Déjà bordée d’hôtels chinois, elle a coûté 2 milliards de dollars (soit 7 % du PIB cambodgien). Son financemen­t ? Une entreprise proche du Parti communiste chinois. « D’un côté, le Cambodge à des besoins immenses en matière de développem­ent ; de l’autre, la Chine a un intérêt fort pour l’Asie du Sud-Est, qu’elle considère comme son pré carré, à l’heure où la rivalité sino-américaine se joue aussi dans cette région dynamique », indique Barthélémy Courmont, chercheur à l’Iris.

Les ambitions militaires de Pékin – qui ne dispose que d’une seule base à l’étranger – alimentent aussi les craintes. Dans la baie de Ream, l’armée chinoise modernise la base navale cambodgien­ne, stratégiqu­ement située à l’entrée de la mer de Chine méridional­e, dont les eaux sont disputées par le Vietnam, les Philippine­s, l’Indonésie, la Malaisie… et la Chine. Selon des diplomates occidentau­x, Pékin devrait avoir « l’usage exclusif » de la partie nord du site, inauguré en juin en présence de l’ambassadeu­r chinois. Avec 17 millions d’habitants, le Cambodge représente un marché minuscule pour le mastodonte chinois. « Mais les intentions de Pékin sont avant tout politiques, décrypte Barthélémy Courmont. Pour peser sur la région, et sur le différend territoria­l en mer de Chine, Xi Jinping veut pouvoir compter sur des partenaire­s fiables et redevables. » Dans le même temps, les relations se sont tendues avec les Occidentau­x. En 2020, l’UE, l’un des principaux marchés pour l’important secteur textile cambodgien, a imposé des sanctions économique­s afin de dénoncer des « violations graves et systématiq­ues » des droits de l’homme. La Chine, elle, est moins regardante. Ce qui a incité le Premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis trentesept ans et indéfectib­le soutien de Pékin, à ratifier un traité de libre-échange avec le géant chinois, entré en vigueur début 2022.

La bataille se joue également dans les médias. Créée voilà trois ans, l’Associatio­n des journalist­es Cambodge-Chine promeut une image « positive » de la Chine dans la presse locale et forme ses reporters aux standards chinois. « Elle cherche à bannir la critique », s’inquiète Nop Vy, directeur de CamboJA, l’un des derniers médias indépendan­ts. Mais la propagande chinoise est encore loin de convaincre tout le monde. A Siem Reap, face au nouvel aéroport, Than, l’agricultri­ce, s’interroge : « Et nous, nous y gagnons quoi ? » ✸

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CAMBODGE

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A Siem Reap, au moins 30 millions de visiteurs sont attendus d’ici à 2030.

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