France : une charge administrative trop pesante
Selon une étude de l’Ifrap, dont L’Express dévoile les résultats, les normes coûteraient aux entreprises entre 75 et 87 milliards d’euros par an.
Un total de 42,4 millions de mots : il ne s’agit pas de la taille de la dernière saga en tête de gondole dans les librairies, mais du poids du « stock normatif » (qu’il s’agisse d’articles législatifs ou réglementaires) dans l’Hexagone en 2021. En comparaison, A la recherche du temps perdu ne comprend « que » 1,5 million de mots… Une charge administrative qui grève l’économie, « car elle engendre des coûts inutiles qui freinent nos entreprises, ralentissent nos services publics et les démarches de tous les jours pour les particuliers », estime l’Ifrap (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) dans sa dernière étude « 100 milliards d’euros, l’énorme charge administrative qui pèse sur la France », dont L’Express dévoile les résultats en exclusivité.
Selon les calculs du think tank libéral, l’avalanche de normes coûterait dans le détail chaque année de 75 à 87 milliards d’euros (soit 3 à 3,5 % du PIB) pour les entreprises et de 12 à 25 milliards d’euros (soit 0,5 à 1 % du PIB) pour les collectivités, les services publics et les particuliers. « Pour les entreprises, cela représente presque un quart des prélèvements obligatoires dont ils s’acquittent tous les ans, et peu ou prou l’équivalent des taxes de production. Ce poids des normes est donc autant un sujet de compétitivité que l’excès de taxes, impôts et cotisations qui pèsent sur elles », appuie Agnès VerdierMolinié, directrice de l’Ifrap. Pour estimer cette charge administrative, le think tank a actualisé des données émises par la Commission européenne en 2006 et par l’OCDE en 2007, en tenant compte des travaux du Conseil de la simplification pour les entreprises et du Conseil national d’évaluation des normes. « Mais nous préconisons une enquête sur le stock normatif sur le modèle de ce qui a été fait en Allemagne et en Belgique pour affiner le diagnostic », ajoute Agnès Verdier-Molinié.
« Les conditions d’embauche et de licenciement, la taille des bananes vendues en supermarché, les démarches à valider avant un projet de construction, tout est encadré par une norme, et quand l’actualité met en lumière un espace non encadré, nos élus se précipitent pour corriger le tir », note l’Ifrap pour expliquer l’inflation normative dans l’Hexagone. Autre problème : notre tendance à la surtransposition des normes européennes. Celles-ci représenteraient environ 20 % des lois, contre 10 % en Autriche ou 14 % au Danemark. « Le problème de la surtransposition “à la française” réside souvent dans une volonté de faire mieux et plus mais sans connexion au terrain, souligne Agnès Verdier-Molinié. La surtransposition n’est pas une spécificité française, l’Allemagne en a beaucoup souffert dans les années 2000 mais le pays a mis en place des mécanismes à partir de 2015 pour éviter cela. »
Depuis plus d’une décennie, des tentatives de faire baisser la fièvre dans l’Hexagone ont certes été mises en place, notamment le fameux « choc de simplification » promis par François Hollande ou le « One In, One Out » (toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou la simplification d’au moins deux normes existantes) voulu par Emmanuel Macron, mais elles n’ont pas
réussi à inverser totalement la vapeur, selon les estimations de l’Ifrap, qui montrent même une augmentation du poids de la charge administrative dans l’Hexagone. « Dans les années 2000, on estimait ce coût à 60 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises contre 75 à 87 milliards aujourd’hui », note Agnès Verdier-Molinié. Cette situation n’est pourtant pas sans remède. « Certains de nos voisins, comme le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Allemagne, ont réussi à réduire ce poids en mettant en place des politiques pérennes et des outils d’évaluation », poursuit-elle. En se fondant sur l’objectif européen de réduction de 25 % des coûts administratifs dans les Etats membres, le think tank estime que nous pourrions économiser entre 21 et 28 milliards d’euros (18 à 21 milliards pour les entreprises, et 3 à 6 milliards pour les collectivités, les services publics et les particuliers) en suivant l’exemple de nos voisins les plus performants.
Pour atteindre cet objectif, l’Ifrap préconise de s’attaquer au stock et au flux de normes, mais aussi de systématiser les évaluations. « La priorité, c’est de traiter la lutte contre la charge administrative comme une problématique concernant les entreprises et de passer en revue toutes les obligations et impôts “papier” afin de pouvoir fixer un objectif de 25 % de baisse du coût de la charge administrative. Une fois ce chantier entamé, on pourra l’élargir aux citoyens et aux administrations, dont les collectivités », propose Agnès VerdierMolinié. Dans son étude, le think tank propose « un scénario de la mise en place d’une politique de lutte contre l’inflation normative », qui s’étalerait de 2022 à 2029. Première étape : adopter le principe d’une loi annuelle proposant un pack de suppression législative des lois et normes obsolètes. Suivent d’autres propositions à mettre en place sur les cinq prochaines années : création d’une Autorité indépendante de l’évaluation normative, établissement d’un index annuel de la complexité administrative, création d’un Office parlementaire d’évaluation indépendant… Reste à savoir si ses préconisations rencontreront un écho à l’Elysée. Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait notamment avancé l’idée de la nomination d’un « haut fonctionnaire à la simplification normative » dans chaque ministère. ✸
Or brun
Plus d’un millier de portes en bois massif de l’ancien hôpital Saint-Vincentde-Paul transformées en tables ; des châssis de fenêtres réutilisés sur la façade du conseil de l’Europe, à Bruxelles … Le réemploi du bois devient le « plan B » afin de préserver l’or brun, devenu rare et précieux. Cet été, la France a découvert la vulnérabilité de ses forêts soumises au réchauffement climatique. « Mi-septembre, nous aurons une estimation de l’impact des incendies sur le cours du bois, souligne Aymeric Albert, directeur commercial à l’Office national des forêts (ONF), qui assure un tiers des ventes. Mais l’inflation a commencé bien avant l’été en raison de la reprise post-Covid, des ravages provoqués par les scolytes sur les épicéas, et de la guerre en Ukraine. » Le conflit bloque toute importation en provenance de ce pays, de la Russie et de la Biélorussie, trois régions très boisées. En juillet, l’ONF pointait une hausse de 56 % du cours du chêne, de 33 % pour le sapin épicéa, et de 29 % pour le pin maritime.
Or les chantiers regorgent de matériaux déclassés, réduits en copeaux pour servir d’énergie, en panneaux, en pâte à papier ou même jetés. D’après une étude publiée cette année par l’institut France cellulose bois-construction ameublement, sur un total de 2,3 millions de tonnes de déchets de bois, seuls 2,5 % sont réutilisés pour la fabrication de palettes. En janvier, l’Etat officialisera le principe de responsabilité élargie du producteur pour le bâtiment. Une éco-contribution perçue auprès des maîtres d’ouvrage et des clients financera la collecte, le tri et le recyclage des déchets.
Pour l’architecte Mathilde Billet, codirectrice de l’agence Bellastock, un nouvel écosystème économique monte déjà en puissance : « 180 entreprises et associations commercialisent et utilisent des planches, du parquet, des escaliers, des poutres de seconde main. » La volonté est aussi européenne, puisque Bellastock est partenaire du programme FCRBE, dont la vocation est d’augmenter de 50 % le réemploi du bois d’ici à 2032 dans les pays du nord-ouest du continent.
Engagés dans cette révolution, des architectes imaginent des bâtiments modulables et démontables comme des Lego. Superbe vitrine située près de la tour Eiffel, le Grand Palais éphémère, signé Jean-Michel Wilmotte, devrait connaître ainsi une nouvelle vie après les JO de 2024. D’ores et déjà, les Compagnons du devoir enseignent la réutilisation du bois aux apprentis. Repérer les gisements, tester la qualité ou stocker exige en effet un vrai savoir-faire. Encore onéreux, ce reconditionnement par étapes devient compétitif à mesure que le prix du bois neuf augmente. Des freins existent encore, notamment du côté des assureurs. Rares sont les compagnies – comme la spécialiste SMA – désireuses de proposer aux artisans une extension de garantie « technique non courante » pour couvrir le risque du réemploi du bois. Enfin, les bricoleurs du dimanche manquent d’incitation pour dénicher les bonnes affaires, puisque aucune campagne institutionnelle ne les guide. Le chemin est là, mais il est encore long. ✸