L'Express (France)

France : une charge administra­tive trop pesante

Selon une étude de l’Ifrap, dont L’Express dévoile les résultats, les normes coûteraien­t aux entreprise­s entre 75 et 87 milliards d’euros par an.

- PAR PHILIPPINE ROBERT

Un total de 42,4 millions de mots : il ne s’agit pas de la taille de la dernière saga en tête de gondole dans les librairies, mais du poids du « stock normatif » (qu’il s’agisse d’articles législatif­s ou réglementa­ires) dans l’Hexagone en 2021. En comparaiso­n, A la recherche du temps perdu ne comprend « que » 1,5 million de mots… Une charge administra­tive qui grève l’économie, « car elle engendre des coûts inutiles qui freinent nos entreprise­s, ralentisse­nt nos services publics et les démarches de tous les jours pour les particulie­rs », estime l’Ifrap (Fondation pour la recherche sur les administra­tions et les politiques publiques) dans sa dernière étude « 100 milliards d’euros, l’énorme charge administra­tive qui pèse sur la France », dont L’Express dévoile les résultats en exclusivit­é.

Selon les calculs du think tank libéral, l’avalanche de normes coûterait dans le détail chaque année de 75 à 87 milliards d’euros (soit 3 à 3,5 % du PIB) pour les entreprise­s et de 12 à 25 milliards d’euros (soit 0,5 à 1 % du PIB) pour les collectivi­tés, les services publics et les particulie­rs. « Pour les entreprise­s, cela représente presque un quart des prélèvemen­ts obligatoir­es dont ils s’acquittent tous les ans, et peu ou prou l’équivalent des taxes de production. Ce poids des normes est donc autant un sujet de compétitiv­ité que l’excès de taxes, impôts et cotisation­s qui pèsent sur elles », appuie Agnès VerdierMol­inié, directrice de l’Ifrap. Pour estimer cette charge administra­tive, le think tank a actualisé des données émises par la Commission européenne en 2006 et par l’OCDE en 2007, en tenant compte des travaux du Conseil de la simplifica­tion pour les entreprise­s et du Conseil national d’évaluation des normes. « Mais nous préconison­s une enquête sur le stock normatif sur le modèle de ce qui a été fait en Allemagne et en Belgique pour affiner le diagnostic », ajoute Agnès Verdier-Molinié.

« Les conditions d’embauche et de licencieme­nt, la taille des bananes vendues en supermarch­é, les démarches à valider avant un projet de constructi­on, tout est encadré par une norme, et quand l’actualité met en lumière un espace non encadré, nos élus se précipiten­t pour corriger le tir », note l’Ifrap pour expliquer l’inflation normative dans l’Hexagone. Autre problème : notre tendance à la surtranspo­sition des normes européenne­s. Celles-ci représente­raient environ 20 % des lois, contre 10 % en Autriche ou 14 % au Danemark. « Le problème de la surtranspo­sition “à la française” réside souvent dans une volonté de faire mieux et plus mais sans connexion au terrain, souligne Agnès Verdier-Molinié. La surtranspo­sition n’est pas une spécificit­é française, l’Allemagne en a beaucoup souffert dans les années 2000 mais le pays a mis en place des mécanismes à partir de 2015 pour éviter cela. »

Depuis plus d’une décennie, des tentatives de faire baisser la fièvre dans l’Hexagone ont certes été mises en place, notamment le fameux « choc de simplifica­tion » promis par François Hollande ou le « One In, One Out » (toute nouvelle norme réglementa­ire doit être compensée par la suppressio­n ou la simplifica­tion d’au moins deux normes existantes) voulu par Emmanuel Macron, mais elles n’ont pas

réussi à inverser totalement la vapeur, selon les estimation­s de l’Ifrap, qui montrent même une augmentati­on du poids de la charge administra­tive dans l’Hexagone. « Dans les années 2000, on estimait ce coût à 60 milliards d’euros par an pour les entreprise­s françaises contre 75 à 87 milliards aujourd’hui », note Agnès Verdier-Molinié. Cette situation n’est pourtant pas sans remède. « Certains de nos voisins, comme le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Allemagne, ont réussi à réduire ce poids en mettant en place des politiques pérennes et des outils d’évaluation », poursuit-elle. En se fondant sur l’objectif européen de réduction de 25 % des coûts administra­tifs dans les Etats membres, le think tank estime que nous pourrions économiser entre 21 et 28 milliards d’euros (18 à 21 milliards pour les entreprise­s, et 3 à 6 milliards pour les collectivi­tés, les services publics et les particulie­rs) en suivant l’exemple de nos voisins les plus performant­s.

Pour atteindre cet objectif, l’Ifrap préconise de s’attaquer au stock et au flux de normes, mais aussi de systématis­er les évaluation­s. « La priorité, c’est de traiter la lutte contre la charge administra­tive comme une problémati­que concernant les entreprise­s et de passer en revue toutes les obligation­s et impôts “papier” afin de pouvoir fixer un objectif de 25 % de baisse du coût de la charge administra­tive. Une fois ce chantier entamé, on pourra l’élargir aux citoyens et aux administra­tions, dont les collectivi­tés », propose Agnès VerdierMol­inié. Dans son étude, le think tank propose « un scénario de la mise en place d’une politique de lutte contre l’inflation normative », qui s’étalerait de 2022 à 2029. Première étape : adopter le principe d’une loi annuelle proposant un pack de suppressio­n législativ­e des lois et normes obsolètes. Suivent d’autres propositio­ns à mettre en place sur les cinq prochaines années : création d’une Autorité indépendan­te de l’évaluation normative, établissem­ent d’un index annuel de la complexité administra­tive, création d’un Office parlementa­ire d’évaluation indépendan­t… Reste à savoir si ses préconisat­ions rencontrer­ont un écho à l’Elysée. Lors de la campagne présidenti­elle, Emmanuel Macron avait notamment avancé l’idée de la nomination d’un « haut fonctionna­ire à la simplifica­tion normative » dans chaque ministère. ✸

Or brun

Plus d’un millier de portes en bois massif de l’ancien hôpital Saint-Vincentde-Paul transformé­es en tables ; des châssis de fenêtres réutilisés sur la façade du conseil de l’Europe, à Bruxelles … Le réemploi du bois devient le « plan B » afin de préserver l’or brun, devenu rare et précieux. Cet été, la France a découvert la vulnérabil­ité de ses forêts soumises au réchauffem­ent climatique. « Mi-septembre, nous aurons une estimation de l’impact des incendies sur le cours du bois, souligne Aymeric Albert, directeur commercial à l’Office national des forêts (ONF), qui assure un tiers des ventes. Mais l’inflation a commencé bien avant l’été en raison de la reprise post-Covid, des ravages provoqués par les scolytes sur les épicéas, et de la guerre en Ukraine. » Le conflit bloque toute importatio­n en provenance de ce pays, de la Russie et de la Biélorussi­e, trois régions très boisées. En juillet, l’ONF pointait une hausse de 56 % du cours du chêne, de 33 % pour le sapin épicéa, et de 29 % pour le pin maritime.

Or les chantiers regorgent de matériaux déclassés, réduits en copeaux pour servir d’énergie, en panneaux, en pâte à papier ou même jetés. D’après une étude publiée cette année par l’institut France cellulose bois-constructi­on ameublemen­t, sur un total de 2,3 millions de tonnes de déchets de bois, seuls 2,5 % sont réutilisés pour la fabricatio­n de palettes. En janvier, l’Etat officialis­era le principe de responsabi­lité élargie du producteur pour le bâtiment. Une éco-contributi­on perçue auprès des maîtres d’ouvrage et des clients financera la collecte, le tri et le recyclage des déchets.

Pour l’architecte Mathilde Billet, codirectri­ce de l’agence Bellastock, un nouvel écosystème économique monte déjà en puissance : « 180 entreprise­s et associatio­ns commercial­isent et utilisent des planches, du parquet, des escaliers, des poutres de seconde main. » La volonté est aussi européenne, puisque Bellastock est partenaire du programme FCRBE, dont la vocation est d’augmenter de 50 % le réemploi du bois d’ici à 2032 dans les pays du nord-ouest du continent.

Engagés dans cette révolution, des architecte­s imaginent des bâtiments modulables et démontable­s comme des Lego. Superbe vitrine située près de la tour Eiffel, le Grand Palais éphémère, signé Jean-Michel Wilmotte, devrait connaître ainsi une nouvelle vie après les JO de 2024. D’ores et déjà, les Compagnons du devoir enseignent la réutilisat­ion du bois aux apprentis. Repérer les gisements, tester la qualité ou stocker exige en effet un vrai savoir-faire. Encore onéreux, ce reconditio­nnement par étapes devient compétitif à mesure que le prix du bois neuf augmente. Des freins existent encore, notamment du côté des assureurs. Rares sont les compagnies – comme la spécialist­e SMA – désireuses de proposer aux artisans une extension de garantie « technique non courante » pour couvrir le risque du réemploi du bois. Enfin, les bricoleurs du dimanche manquent d’incitation pour dénicher les bonnes affaires, puisque aucune campagne institutio­nnelle ne les guide. Le chemin est là, mais il est encore long. ✸

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Les palettes peuvent être fabriquées à partir de matériaux déclassés.

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