Photovoltaïque : la revanche du made in France
Le plan de relance national, l’impulsion européenne et le contexte géopolitique favorisent le retour d’un savoir-faire laissé à l’Asie.
Le gouvernement enfonce le pied sur l’accélérateur. « On accueille avec une grande joie ce texte car le nouveau cabinet a été très réactif. C’est libérateur pour la filière », salue Pascal Richard, le fondateur de la start-up Carbon qui travaille à l’élaboration de panneaux photovoltaïques 100 % français ou européens. Le développement de l’énergie solaire va être boosté par le bien nommé projet de loi d’« accélération des énergies renouvelables » qui sera examiné cet automne, alors que l’exécutif a transmis le 12 août sa première version au Conseil d’Etat. Parmi les propositions : des mesures de simplification administrative, la facilitation des procédures de raccordement au réseau électrique ainsi que le relèvement des seuils de soumission à l’évaluation environnementale – en clair, les petits projets pourront s’en abstenir.
De nouvelles mesures qui doivent accélérer la croissance d’un écosystème tricolore déjà foisonnant. Les projets d’installations photovoltaïques se multiplient en effet : entre 2020 et 2021, la France a ajouté 34 % de capacités solaires supplémentaires. Une croissance qui ne devrait pas faiblir, bien au contraire. Les objectifs climatiques de l’Europe et la volonté de couper les ponts énergétiques avec la Russie, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, obligent à une transition énergétique décarbonée et rapide. Ce que permet de fait l’énergie photovoltaïque.
Et le marché tricolore est de plus en plus porteur : dans son discours à Belfort, en février, Emmanuel Macron a annoncé vouloir multiplier par dix les capacités solaires du pays. En mai, la Commission européenne a de son côté annoncé l’obligation, à partir de 2025, d’installer des panneaux solaires sur les bâtiments publics, mais aussi sur les surfaces commerciales. D’après le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE, 4 millions de foyers hexagonaux pourraient finalement être équipés en panneaux en 2030. Un appétissant gâteau dont les industriels français espèrent bien s’adjuger une belle part.
Reste qu’il ne faudrait pas glisser d’une dépendance au gaz russe à une addiction aux panneaux asiatiques. Dans l’actuel top
Emmanuel Macron dit vouloir multiplier par dix les capacités solaires du pays
10 mondial des entreprises photovoltaïques, huit sont en effet chinoises ou sud-coréennes. Aucune n’est européenne, alors que ces dernières représentaient encore la moitié de la production en 2001. Le dumping sur les prix ayant eu raison, notamment, des industriels français qui étaient pourtant très en pointe.
Jouer et remporter ce match retour face au rival asiatique, c’est le rêve un peu fou de la start-up Carbon, installée dans la région lyonnaise.. Elle travaille à intégrer à son projet toute la chaîne de valeur du panneau traditionnel pour, à terme, la rétablir au maximum dans l’Hexagone ou en Europe. De la fonderie, avec l’affinage du silicium ou son recyclage, à l’assemblage des panneaux, en passant par la production des cellules : tout sera piloté par l’entreprise. « Il y a un gros marché, une grosse attente et un gros besoin. On sait qu’on aura des débouchés si on répond à ces attentes », analyse Pascal Richard. L’objectif de la jeune pousse ? Intégrer le top 10 des fabricants mondiaux de panneaux photovoltaïques dès 2030. Ambitieux !
Pour se distinguer des concurrents chinois, d’autres sociétés françaises et européennes misent sur leur plus-value technologique et leur proximité. Solar Watt, une entreprise photovoltaïque allemande possédant une filiale en France, s’est spécialisée dans des modules hyper résistants et certifiés bas carbone grâce à un choix scrupuleux des matières premières. Elle s’attache surtout à équiper les marchés où la relation client est indispensable, comme le secteur agricole par exemple. « On se distingue de nos concurrents asiatiques par la présence sur le terrain. On apporte aussi des services supplémentaires pour que nos clients puissent gérer leur consommation depuis leur mobile ou bien qu’ils puissent stocker l’énergie qu’ils produisent », rapporte Ian Bard, directeur de la filiale française.
De nouveaux usages pourraient également transformer la planète photovoltaïque à l’avantage des groupes français. La pose de panneaux sur les voitures ou sur les abribus, encore peu répandue actuellement, ne relève ainsi plus de la science-fiction. Ces utilisations de « niches » offrent des leviers de concurrence aux acteurs français pour pouvoir offrir du sur-mesure. Et certains vont même jusqu’à parier sur des technologies dites « de rupture ». C’est le cas de celle mise au point par Asca, une entreprise nantaise, qui conçoit et fabrique des « films solaires organiques » uniques au monde : des films souples et minces qui peuvent se poser sur des surfaces courbes ou
verticales et qui n’utilisent que du film polyester recyclable. Pas de silicium ni de métaux rares intégrés à la composition… Ce qui réduit drastiquement le poids et donc d’autant l’empreinte carbone. Si le rendement (7 %) est faible pour le moment, la technique est prometteuse et les possibilités d’installation quasiment infinies. Un élément de différenciation majeure face aux concurrents asiatiques.
Mais ces projets de réindustrialisation, comme celui de Carbon, se heurtent vite à la question sensible de l’approvisionnement en matière première. La France ou l’Espagne tirent certes du silicium de leur sous-sol, mais pas à la qualité nécessaire pour la production des panneaux solaires. En Europe, le sujet est tellement sensible que la matière est jugée « critique » par la Commission européenne. Les investissements de départ pour concevoir une telle industrie de sidérurgie haut de gamme et à la bonne échelle sont faramineux. Ils constituent dès lors un autre obstacle à la relocalisation des étapes les plus en amont.
Autre point épineux : le manque de volonté des grands porteurs de projets, parmi lesquels TotalEnergies, Engie ou EDF, de se fournir en panneaux fabriqués en France pour réaliser leurs grands programmes. « En continuant d’importer des panneaux chinois, les énergéticiens dégagent plus de marge. Ils attendent qu’on réussisse pour s’intéresser à ce qu’on fait. Or la réussite ne peut être que collective pour jouer sur l’économie d’échelle », déplore Hubert de Boisredon, patron du groupe industriel nantais Armor. Puisque les prix dépendent des volumes, les producteurs français ont en effet grand besoin de commandes importantes que seuls les grands groupes peuvent ordonner.
Si le projet d’« accélération des énergies renouvelables » est un signe encourageant, des zones d’ombre demeurent. Quid du volet industriel ? Le président de Carbon s’interroge : « L’esprit des textes sera-t-il une invitation adressée aux industries étrangères pour venir s’installer parce que c’est plus simple ou bien soutiendra-t-il l’industrie française et européenne ? » L’entrepreneur plaide en outre pour un suivi des programmes « plus transparent » et des « objectifs assignés aux préfets clairs en nombre de projets et en puissance installée ». Une autre limite soulevée par plusieurs associations tient à l’accélération en elle-même, puisqu’elle est rendue possible par la suppression d’étapes liées aux études environnementales. En clair, les associations craignent que, pour gagner du temps, l’environnement soit sacrifié sur l’autel du photovoltaïque. D’autres déplorent une perte en qualité des débats publics, en raison des délais raccourcis qui provoqueraient des avis moins étayés malgré leur rôle essentiel dans les discussions.
Enfin, l’acceptabilité sociale de certains projets modère l’ardeur des professionnels. Récemment, celui de la centrale solaire Horizeo, porté en Nouvelle-Aquitaine par le consortium formé par Engie et Neoen, a fait parler de lui : cette « plateforme énergétique bas carbone », qui prévoit le déboisement de 1 000 hectares de forêt pour y installer un complexe avec, entre autres, des panneaux photovoltaïques, a fédéré plusieurs centaines de détracteurs. « Les risques d’inondation, d’incendie ou de création d’un dôme de chaleur sont trop élevés », s’inquiète Marie Rabary, représentante d’Horizon forêt. Seule l’autoconsommation, accessible aisément à la plupart des habitats individuels, semble profiter d’un consensus général. Un marché bien trop étroit pour mettre sur pied une filière tricolore robuste. ✸